Enfant proie et adulte victime

Enfant proie et adulte victime

Quoi de plus facile que de modeler un enfant afin d’en obtenir un résultat, une fierté pour certains, une carte de visite ou un diplôme pour d’autres ? Ces enfants « fils de », ou « filles de », condamnés à réussir, à servir leurs parents et à se sacrifier.


Les enfants psychologiquement, physiquement, sexuellement victimes de maltraitance possèdent une vulnérabilité aigüe. Leur besoin d’être reconnus, protégés et aimés les empêche d’avoir le moindre recul, la moindre méfiance. Ce qui est vécu l’est au premier degré, comme ce qui est ressenti. Ce sont des enfants en quête perpétuelle de reconnaissance. Chaque signe qui leur est adressé est reçu comme cette reconnaissance tant espérée, sans qu’il ne leur soit possible d’analyser ou de s’opposer à ce qui ne leur convient pas. Habitués à obéir, à se taire, à devoir plaire et faire plaisir, ces enfants-proies n’ayant pas développé de mécanismes de défense propres vont être enclins une fois adultes à écouter la première belle et bonne parole venue, sans mettre aucune limite. Le prédateur sent la proie, repère ses fragilités et va s’en servir pour conquérir et dominer. Les proies vont être heureuses que l’on s’intéresse à elles, qu’on les regarde. Elles connaissent les notions de bien et de mal, mais ne savent pas se les appliquer et surtout les rendre pertinentes dans leur relation à l’autre.

Lucie, victime des comportements toxiques et incestuels de ses parents, tient à 24 ans, le raisonnement logique et objectif d’un adulte tant que son champ émotionnel n’est pas concerné. Quand il s’agit de sentiments, quand il lui faut s’impliquer dans une relation où elle pourrait être considérée, où un regard est porté sur elle, elle s’en remet totalement à l’autre, s’interdisant toute opinion, toute prise de recul. L’autre, l’adulte, sait mieux qu’elle, fait mieux qu’elle, il est autorisé à demander, à exiger sans qu’elle sache s’y opposer :

« Je me fais avoir à chaque fois, même quand les choses ne me plaisent pas. Je ne sais pas dire stop, je ne sais pas dire non. J’ai tellement peur d’être rejetée, de me retrouver seule, sans amis, sans personne. Je sais que j’accepte tout et trop, mais je n’arrive pas à faire autrement. Le pire pour moi, c’est le silence. Je préfère presque les conflits, mais en même temps je les fuis. Je fais des choses que je n’aime pas pour ne pas contrarier. Et j’en fais toujours plus. Le pire, c’est qu’au début de chacune de mes relations, je me suis dit que la personne avait un truc de bizarre, que je ne sentais pas. Mais je chassais cette pensée, et je m’en voulais. À chaque fois, je me répète : ce n’est pas ton père, ce n’est pas ta mère, faut pas voir le mal partout. Je ferais mieux de m’écouter, mais je n’y arrive pas. »

Lucie est loin d’être la seule dans ce cas. Les adultes victimes sont nombreux à tenir le même genre de propos : « La première fois que je l’ai vu, j’ai senti un malaise. Mais je n’ai pas voulu y prêter attention. Il était quand même très gentil, il m’écoutait… »

La première impression reste souvent la meilleure.
Pour un adulte souffrant de fragilités importantes, le discours parental trop entendu va resurgir comme un fantôme, empêchant toute réflexion et créant un conflit interne violent. Adulte, cette victime redevient enfant lorsqu’une demande ou une pression extérieure agissent sur sa relation affective à l’autre. Cet adulte, proie idéale pour un manipulateur, se comporte comme l’enfant qu’il a été avec ses parents. Et l’enfant-proie n’a pas de repères. Il lui a été empêché de se construire. Son champ émotionnel est dévasté. Il a reçu bien plus d’interdictions que d’autorisations, de contraintes que de libertés.


On ne peut parler des proies sans parler de leur prédateur.
Selon le Petit Robert, un prédateur est un pillard, un homme qui vit de rapines, de butin. C’est également un animal qui se nourrit de proies. Quant à la proie, il s’agit d’un être vivant dont un prédateur s’empare pour le dévorer. Le prédateur doit faire face à une urgence vitale : se nourrir pour vivre. Il doit traquer, chasser et tuer ce qui va le rassasier. Il est question de subsistance et de survie, pour le prédateur comme pour la proie.
Pour le prédateur il s’agit de posséder et anéantir pour pouvoir vivre.
Pour la proie, il s’agit de résister à la traque et à la mise à mort.

Pourquoi parler de prédateur et de proie lorsqu’il est question de violences psychologiques ?
Parce que ces deux forces qui s’opposent, ces deux manières de survivre sont les fondements de la violence psychologique. Le prédateur se sert toujours d’une arme. Animal, ces armes sont ses griffes ou ses crocs. Humain, ce sont ses mots et ses actes. Les victimes qui décrivent le comportement de leur agresseur reprennent souvent la même image : celle du chat et de la souris. Dans l’histoire, elles sont la souris. Quant au chat, il attend et guette. Il est persévérant. Parfois un peu joueur, répondant à son instinct. Enfin, à coups de crocs et de griffes, et après l’avoir épuisée, il va tuer la souris. C’est sa condition de chat, c’est un prédateur.

Le fonctionnement d’un humain prédateur est comparable en tout point à celui d’un animal. La question de la conscience du bien et du mal n’est pas à prendre en considération, en premier lieu. Il s’agit de survie, non de morale.


Si une définition de la violence psychologique devait être donnée, ce serait « un ensemble de comportements, paroles et actes, visant à satisfaire un individu – le prédateur – aux dépens d’un autre – la proie – pouvant aller jusqu’à la destruction complète et la mise à mort, et le plus souvent mis en œuvre sans que personne ne puisse en témoigner ».

Le prédateur qui va jusqu’à détruire sa proie devient alors son bourreau. Si, par souci de commodité, le bourreau est désigné au masculin, il ne faut jamais oublier qu’il peut être un homme ou une femme.

Le bourreau n’existe pas sans la victime. Il lui faut la traquer et la capturer. Tant qu’il est dans la quête sordide de son Graal, il est prédateur ou chasseur. Il est alors à la fois attirant, hypnotisant et repoussant, sans que ce soit explicable par la proie, à l’image de Robert Mitchum dans La Nuit du chasseur ou de Mme de Merteuil dans Les Liaisons dangereuses. Le prédateur engendre dans le même temps la fascination et le malaise. Mais la fascination prend le pas sur ce malaise. Et c’est souvent longtemps après qu’une victime se souvient dudit malaise, se rappelle la gêne, le sentiment d’être étouffée, coincée, empêchée d’agir ou de parler.

« Ma mère, elle est moche. Elle est laide. Elle a toujours été vieille, elle ne sourit jamais. Ou sauf pour faire mal. Je préfère quand elle ne sourit pas. En fait, ces sourires, ils font peur. Mais petite, je trouvais que c’était la plus belle et la plus classe. »

Une victime est séduite par des mots, des regards, des gestes et des caresses, des sourires, par une forme de tendresse, de douceur et d’intérêt qui masquent le seul but du prédateur : capturer, posséder et détruire. Elle a été séduite alors qu’elle était une proie visible et identifiable pour un prédateur. Et en tant que proie, elle devient objet du désir obsessionnel.

Dans le cadre de la violence psychologique, il faut oublier toute notion de morale. C’est à la morale que la proie s’accroche en pensant que « les choses vont changer », mais c’est presque à cause d’elle, la morale, que la proie devenue victime finit par perdre. C’est à la morale que l’enfant-proie donne une puissance magique censée le protéger de tout, mais une fois adulte, cet enfant qui n’a reçu comme modèle de moralité que celui de ses parents toxiques ne saura pas se préserver de comportements destructeurs.

La Nuit du chasseur (1955), film de Charles Laughton, adapté du roman homonymique de Davis Grubb.
Pierre Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses (1782). Mme de Merteuil est incarnée par Glenn Close dans l’adaptation cinématographique qu’en a donné Stephen Frears (1988).

L’ENFANT INSTRUMENTALISÉ

Comment se penser soi-même sans avoir en tête une idée de ce que pourrait être un père, une mère ou si une de ces images est disqualifiée, mise entre parenthèses, ou détruites : c’est la notion de « parent », en tant que protecteur, qui disparaît, et la sensation de sécurité ; l’idée même d’un modèle à qui l’enfant voudrait ressembler s’effondre ; tout cela vient mettre en danger la construction de l’appareil psychique de l’enfant, invalide son identité, et pèse sur son futur.

Alain Rouby, psychologue clinicien

Instrumentaliser : se servir d’une personne comme d’un instrument pour parvenir à ses fins et mener à bien un projet.

La personne instrumentalisée devient un objet. Elle est réifiée. Sa perception, sa réflexion, son individualité son niées. Elles ne doivent pas s’exprimer car elles peuvent nuire à celui ou celle qui instrumentalise et contrecarrer ses projets ou les empêcher. Il y a donc une volonté concrète et mise en œuvre pour faire disparaître tout caractère propre chez celui ou celle qui devient un objet.

La réification est un concept désignant un processus cognitif et comportemental selon lequel un être humain (en l’espèce, lorsque nous parlons d’instrumentalisation) est perçu et traité comme une chose au point d’en venir à se considérer comme une « chose » lui-même.

Pourquoi instrumentaliser ?

Pour combler un manque, un vide ou une incapacité. Schématiquement, on dira que le parent toxique, qui va instrumentaliser son enfant, n’existe pas en tant que tel. Son développement affectif, sa maturation émotionnelle, s’est stoppée vers l’âge de 6 ou 7 ans. À cela il peut exister de nombreuses raisons.

Or à cet âge, le monde semble encore très manichéen. Les objets nous appartiennent, ou non. On peut leur donner un sens, les désirer, les animer, les abîmer sans culpabilité ou les abandonner. Le sentiment d’être puissant est important. La notion de « l’autre » commence à peine à se développer, les relations nourries d’altérité sont à leur commencement – l’autre est souvent, encore, un prolongement de soi. Les émotions sont en construction et l’apprentissage de la réalité débute.

Plus prosaïquement, on dira qu’il y a les bons et les méchants.

C’est globalement à ce stade que s’arrête le développement émotionnel du (futur) parent toxique. Et il va agir en fonction, en grandissant.

Je reçois = l’autre est gentil => je fais en sorte que l’autre continue de l’être
Je ne reçois pas (ou plus) = l’autre est méchant => je fais disparaître l’autre et je me venge car il m’a fait mal

ASPECT PSYCHOLOGIQUE

L’instrumentalisation se met en place dès le début de la relation et parfois même avant.

Dans un couple, l’idée non explicite de cette instrumentalisation apparaît avant même que la personne toxique n’ait trouvé sa proie. La toxicité génère le besoin vital de l’autre qui va apporter à l’auteur des violences ce qu’il lui manque (empathie, sociabilité, générosité…).

La joie de leurs enfants, le lien avec l’autre parent leur est insupportable. La personne toxique va alors chercher à le nier et le détruire. Par ses messages, elle va mettre à mal ce que le parent bienveillant met en place. Par son comportement, elle va faire en sorte que le parent bienveillant et l’enfant n’aient plus de relations, plus de contacts.

La manipulation peut passer par la violence. Elle laisse des traces. L’enfant, qu’il soit maltraité physiquement ou psychologiquement, conserve cette blessure. Et même si c’est des années après, il est capable de la conscientiser. Il peut alors reprocher à l’autre parent de ne pas l’avoir protégé (encore faut-il que l’autre parent ait eu les moyens de le faire), mais il est également conscient de la violence subie et de ce qu’elle avait d’inique.

Ce que le toxique ne supporte pas est la perte de sa suprématie. Enfant immature, il veut à tout prix conserver cette place auprès de son conjoint ou de sa compagne. L’enfant devient alors un rival puisqu’il nécessite attention, soins, amour, temps… qui ne sont plus exclusivement réservés à son parent toxique.

La manipulation passe aussi par la douceur, la gentillesse, la présence… Bien sûr, tout est faux. Et une fois décortiqués les comportements du parent manipulateur, il est évident que celui-ci ne se sert que de promesses (qu’il ne tient pas), d’envies qu’il fait naître et utilise comme une carotte, et d’argent. Pour ne pas tenir ses promesses, il aura toujours une bonne raison. Le plus souvent, il commencera par culpabiliser l’autre parent aux yeux de son enfant. Celui-ci va se retrouver dans une attente qui ne peut être comblée et dans la colère et la tristesse, croyant fermement que la promesse ait empêchée par un comportement « méchant » du parent … bienveillant.

©Patrick Joust

Dans l’esprit de cet enfant, tout s’inverse.

Il ne sait alors plus en qui il peut faire confiance. Il va même jusqu’à ressentir de l’abandon, puisque la promesse n’est pas tenue par la faute d’un de ses parents qui, forcément, ne doit pas l’aimer, puisqu’il empêche.

Quant à l’argent, arme toute puissante, cela ne signifie pas que le parent maltraitant est forcément riche. Mais il va acheter consciemment son enfant, quitte à lui offrir ce qui est interdit par l’autre parent.

Avant la séparation, une des conséquences – qui va perdurer longtemps même après la séparation, est la place que l’enfant va peu à peu prendre, c’est-à-dire à combler le manque créé par son parent défaillant. Il devient alors grand frère ou grande sœur trop parental avec la fratrie, confident du parent bienveillant, soutien…

Le paradoxe : entre le dit et l’agit.

De nombreux parents maltraitants adoptent avec leurs enfants un comportement paradoxal : ils vont répéter sans cesse qu’ils aiment leurs enfants, ils vont leur dire, ils vont avoir des gestes qui semblent être des marques d’affection ou d’amour. Dans le même temps, ils vont menacer, crier, punir, hurler, frapper, critiquer, juger…

L’enfant en quête de reconnaissance va imaginer que les marques d’amour sont bien réelles, et va pardonner au parent maltraitant. Il va lui trouver des raisons à ses comportements. Et souvent ces raisons seront même renforcées et développées par le parent bienveillant : « Tu sais comme est ton père, mais il t’aime… Tu connais ta mère, elle s’emporte mais elle veut ton bien… ». En effet ce dernier ne veut pas conforter son enfant dans sa souffrance et, croyant bien faire, va tenter d’atténuer la violence vécue et faire croire que ce n’est que maladresse ou énervement passager de la part du parent défaillant.

Et ce comportement peut durer longtemps, bien après la séparation. Le parent bienveillant, victime, a tellement pris l’habitude de protéger son conjoint, pour le bien de l’enfant, et pour ne pas affronter une colère, qu’il continue d’agir de la sorte.

Le chantage est une des armes favorites du parent toxique, la culpabilisation, les « après tout ce que j’ai fait pour toi » sont autant de façons d’enchaîner. Le parent manipulateur passe du rire aux larmes très facilement. Il les utilise pour sensibiliser, toucher, rallier à sa cause. L’enfant, ne peut s’empêcher d’être touché. Il croit devoir consoler son parent. Il fait des efforts pour ne pas déranger et pour satisfaire. Il cherche à correspondre à ce qu’il pense être une attente de son parent et culpabilise de ne pas être à la hauteur.
Le parent peut aussi parler de son enfant comme étant la prunelle de ses yeux et le jour d’après prétendre que vous n’êtes plus son enfant parce que vous avez osé lui tenir tête ou fait quelque chose qui ne sert pas ses intérêts.

Tout est paradoxal et ambivalent. Tantôt il aime, tantôt il traite d’incapable, parfois de manière très subtile.

Il a aussi l’art de critiquer l’entourage, personne, ou presque, ne trouvant grâce à ses yeux. En fait, tous ceux qui pourraient réveiller et permettre de voir clair dans son jeu sont une menace pour lui et son objectif est donc d’isoler.
Il ne complimente pas, ou en laissant toujours planer le doute sur la véracité du compliment.
Il gémit pour contraindre, supplie pour obliger.

Il se positionne en victime, agit en bourreau, et passe pour un sauveur aux yeux des tiers. Il est à lui seul une triangulation psychique, entrainant son enfant dans cette triangulation. Il y a alors perte complète de repères, confusion, développement de mécanismes de défense, interdisant à l’enfant de se détacher et de développer une personnalité propre. Il va alors construire un faux self nécessaire pour être au plus près de ce que son parent attend de lui… sans jamais y arriver.

ASPECT JURIDIQUE

« Si tu veux être aimé de moi, tu dois détester ton autre parent »

Message implicite : tu ne peux aimer que moi.

Chantage : sinon, tu n’auras pas mon amour

Mensonge : je suis incapable de t’aimer mais je te le fais croire

Danger : perte de l’autre parent et de sa protection

Difficile de distinguer l’aspect juridique de l’aspect psychologique. C’est souvent lorsque le juridique devient concret que l’instrumentalisation psychologique de l’enfant semble tangible. Les procédures peuvent même renforcer la volonté d’instrumentaliser l’enfant qui est alors tant un enjeu qu’une arme.

Faire participer l’enfant au quotidien de la procédure de séparation ou de divorce en lui faisant tout lire, dénigrer son autre parent et sa famille, l’interroger avec insistance sur la vie de l’autre, ses biens, ses amis, son quotidien…

Tout cela est de la maltraitance. L’enfant aime ses deux parents et sent intuitivement que celui qui agit ainsi souffre (ou semble souffrir). Il le protège, l’écoute et le croit parfois. Parce qu’il est un enfant, il n’a pas la même capacité de retrait qu’un adulte, parce que ce sont ses parents, il n’a pas la possibilité de voir les choses avec objectivité.

Les enfants prennent le plus souvent le parti de celui qui, selon eux, souffre le plus ou est en position de faiblesse. Les adultes qui instrumentalisent ainsi leurs enfants se rendent coupable d’une maltraitance qui peut entrainer pour l’enfant des séquelles psychologiques parfois graves.

LES CONSÉQUENCES

a) Le déni parental

Pourquoi parler de déni parental, ou d’exclusion parentale ?
À lire la presse, les syndromes se multiplient. Les informations, et contre-informations tout autant. Les causes, raisons, explications des maltraitances subies par des enfants sont multiples. Le besoin de comprendre fait stigmatiser – et qualifier – certains comportements. Les thèses fournies sont étudiées, reprises puis pour certaines contredites. Au risque de s’y perdre. Au risque d’oublier ce qui devrait rester le souci majeur : l’intérêt supérieur de l’enfant, pourtant si souvent évoqué, pour ne pas dire revendiqué, devant les JAF. « Madame X, monsieur Y, demande cela dans l’intérêt de l’enfant…  Soucieux(se) de son bon développement, il(elle) regrette de devoir se présenter devant la cour pour obtenir un droit et la défense de son enfant.»


Il en est ainsi, entre autres, du syndrome d’aliénation parentale, qui devient un enjeu théorique : existe-t-il ou non ? Est-il né d’un cerveau qui voulait se disculper de ses propres pensées et agissements ? Est-il présent plutôt chez les pères, ou chez les mères ? Certains en font un cheval de bataille, d’autres le réfutent totalement.

Loin de ces clivages théoriques, qui semblent oublier l’enfant et sa souffrance, je parle de déni parental, ou d’exclusion parentale ; à savoir tout comportement de l’un des deux parents tendant à exclure partiellement ou totalement de la vie de l’enfant l’autre parent, en niant l’existence de l’autorité parentale conjointe tout autant que celle des devoirs issus du rôle de parent, et des droits des enfants à conserver, au-delà d’un conflit d’adultes, des liens avec chacun de ses deux parents.[1]

Le déni parental peut est observé sous trois angles.


D’une part, il est le déni de ses propres responsabilités en tant que parent lorsque l’on est un parent toxique, agissant en manipulateur – destructeur tout en faisant en sorte que l’entourage soit convaincu d’avoir affaire à un bon père ou une bonne mère.
Or, la manipulation entraine maltraitance, rejet de l’enfant, dénigrement, empêchement d’une construction autonome, libre, et consciente… La manipulation peut prendre pour forme de « parentaliser » l’enfant, retirant à ses parents l’autorité naturelle et bienveillante que celui-ci doit avoir sur l’enfant, celle qui permet de se construire autour de valeurs et avec des limites normales de protection. Ainsi l’enfant qui devient le confident, l’alter ego de son parent, ainsi également de l’enfant dont la présence est réclamée comme nécessaire à un équilibre « Je suis si  triste  sans  toi, j’ai besoin que tu sois là pour aller bien, tu manques à papa, à maman… », ainsi encore de celui qui est choisi comme allié contre l’autre parent « Tu préfères ton père ou ta mère ? Si ton père avait fait autrement, s’il était moins! méchant… Si ta mère était moins bête… Ce n’est pas ce que je voulais, ne m’en veux pas… Pardon de t’avoir donné un tel père, une telle mère »

C’est aussi le déni de l’autre parent, de son rôle, de ses facultés éducatives, du lien à maintenir avec le (les) enfant(s) qui constitue la potentialité d’un danger dans l’évolution de cette relation. L’interdiction de communiquer, l’empêchement à téléphoner, le refus d’informer sur un lieu de vacances, sur une inscription dans une école, sur une situation médicale sont des comportements niant l’existence de l’autre parent en tant que parent.De même de ces parents qui, une fois qu’ils ont refait leur vie, confie à leur nouveau conjoint(e) un rôle d’éducateur auprès de leurs enfants, les investissant totalement dans le quotidien des enfants, permettant à l’enfant de croire que l’autre parent n’a plus sa place, ou ne veut pas de cette place… Que, en définitive, l’autre parent le rejette. Ainsi de cet enfant qui dit à sa mère, décrivant son week-end chez son père « Avec les parents on est allé à la campagne. » ; ainsi encore de cet autre enfant qui confond les parents de sa belle-mère avec ses grands-parents, puisqu’on lui a appris que dorénavant, ce serait ses grands-parents. Le cadre familial, déjà disloqué, explose un peu plus ; l’image de la famille n’existe plus. Les rôles se mélangent. L’enfant ne sait plus quelle est sa place, et n’arrive pas à donner une place à chacun.

Enfin, et conséquence des deux premiers points, le déni parental peut venir de l’enfant manipulé qui rejette voire exclut de sa vie un de ses parents… en l’espèce le parent protecteur. L’enfant croyant le manipulateur agit sans conscience mais en repoussant l’aide et la protection offertes par le parent autrefois sous emprise. Chosifié par le parent manipulateur, il devient alors complice sans le vouloir de la destruction entreprise contre le parent protecteur. Il agit sans capacité de recul et de réflexion, soumis et contraint, sans distanciation possible.

Dans le cas du déni parental, l’enfant est instrumentalisé par l’un des deux parents qui mettra en action toute une série de comportements, d’agissements et de  manipulations de pensée proches du lavage de cerveau afin de conduire l’enfant à ne plus voir l’autre parent, à ne plus vouloir le voir, à ne pas communiquer avec lui. Cela peut aller de  la part de l’enfant jusqu’au rejet–manipulé–du parent choisi comme cible.

Bien plus terrifiante que la souffrance de l’autre parent, qui cherche tant à se protéger qu’à pouvoir protéger son enfant, est celle de l’enfant lui-même. Contraint de critiquer, de repousser voir de nier une part de lui-même, il est amené à désavouer cette part de lui. Car, quelqu’ils soient, il y a bien et toujours deux parents ; et l’enfant sait instinctivement qu’étant le fruit de ces deux parents, il y a forcément en lui une part de chacun d’eux.

Il faut également prendre en compte le comportement du parent victime, aveuglé par sa culpabilité. Ce parent a reçu de la personnalité toxique un enseignement : il porte une faute, il est coupable. Cette faute lui appartient, à lui et non à ses enfants. La victime est prise dans un paradoxe : elle «sait» qu’elle est fautive, tout en étant convaincue – à raison sans  pouvoir argumenter ou se justifier –que c’est faux. Mais, même si elle rejette une partie du discours de la personnalité toxique, la victime pense que ce qu’elle a subit est dû à ce qu’elle-même est. Elle peut être alors dans la renonciation, le refus d’accepter qu’elle puisse être fragile sans être coupable.

Lors de la séparation, son raisonnement est encore faussé. Elle sait, ou tout du moins sent, que la personnalité toxique ne cessera pas ses agissements destructeurs avec elle, mais elle pense mettre les enfants à l’abri de situations conflictuelles. Elle se refuse à voir que la personnalité toxique peut poursuivre ses agissements au travers des enfants, les prenant à la fois comme réceptacle de sa toxicité et bras armés de sa destruction.

On entend alors des phrases comme : «C’est son enfant, il (elle) ne lui fera pas de mal… C’est un bon père (une bonne mère) tout de même, et il (elle) aime ses enfants», «C’est à moi qu’il (elle) en veut, mais je ne m’inquiète pas du tout pour les enfants».

b) Le conflit de loyauté

C’est un conflit intra-psychique né de l’impossibilité de choisir entre deux situations possibles, ce choix concernant le plus souvent les sentiments ou ce que  nous croyons en être, envers des personnes qui nous sont chères.

Le conflit de loyauté pourrait se définir ainsi : Si je choisis X, cela signifie que je rejette Y. Et inversement, si je choisis Y, cela signifie que je rejette X. Mais comme cela est insupportable, je ne peux choisir. Sinon au prix d’une éventuelle culpabilité. !

L’enfant va alors entrer dans un schéma paradoxal. Il va vouloir se protéger et protéger dans le même temps ses deux parents. Ce qu’il va vivre chez l’un, il le taira chez l’autre, non pour faire des secrets, mais en pensant éviter à ses parents des souffrances supplémentaires. Il va apprendre à se taire. Ce n’est pas une volonté de dissimulation, c’est une nécessité de se créer une bulle qu’il pense infaillible, dans laquelle ses parents n’entrent pas et à l’intérieur de laquelle rien ne pourrait l’atteindre.

Dans le cadre des procédures de divorce particulièrement conflictuelles, où les parents divorcés ne parviennent plus à communiquer, les enfants peuvent devenir des victimes de ce conflit parental qui peut être qualifié de maltraitance psychologique. Les parents désormais aveuglés par leur propre conflit, par leur propre souffrance qu’ils ne parviennent plus à maîtriser, ne sont plus en capacité de prendre la mesure de l’impact psychologique de leurs comportements sur leurs enfants. Ils n’en n’ont souvent pas directement conscients.

Il a été démontré que ce «conflit de loyauté» dans lequel est durablement plongé l’enfant est très destructeur pour la construction de la personnalité future de l’enfant. Pour l’enfant, ce conflit intra-psychique naît de la profonde impossibilité de choisir entre le père et la mère. C’est un trouble majeur auquel se trouvent confrontés de nombreux enfants de parents divorcés et qui doivent constamment composer entre les désirs des parents souvent contradictoires, et entre les obligations et interdictions diverses de ces deux parents qui ne parviennent plus à s’entendre.

Ce conflit parental est une forme de violence psychologique, et devient destructeur par la répétitivité des messages contradictoires que peut recevoir  l’enfant de la part de ces deux parents.

L’enfant placé au cœur de ce conflit est bien la victime directe d’un abus de pouvoir et de contrôle des parents et c’est effectivement le caractère répété et durable qui cause préjudice à l’enfant victime. Les enfants placés contre leur volonté au centre de ce conflit majeur, qui se perpétue et qui peut devenir de plus en plus prégnant, en ressentent alors une profonde détresse. Les enfants confrontés à ces dissensions sont bien souvent démunis et isolés. Ils ne parviennent pas à se protéger et manifestent alors leur désarroi par des actes de violences.

Ces contradictions dans ce qu’exprime l’enfant soulignent le profond conflit psychique qui peut l’agiter.

CONSÉQUENCES SUR LES ENFANTS

Attention : cette note est destinée à informer. Il y est signalé les conséquences possibles de ces souffrances pour les enfants, de la maltraitance qu’ils subissent. Ce n’est pas pour autant que ces conséquences se produisent systématiquement. Ce sont des conséquences possibles, à ne pas ignorer ni à négliger. Mais qu’il ne faut pas non plus les « guetter » comme devant forcément se produire : il n’existe pas de déterminisme.

Et dans le même ordre d’idées, certains comportements de l’adolescent peuvent être liés à d’autres causes que la maltraitance psychologique. Il est donc nécessaire de REGARDER son enfant en essayant d’éviter toute déduction ou tout transfert (mon fils ne travaille plus en classe parce qu’il cherche à tout prix à attirer le regard de son père… ma fille se maquille beaucoup trop et essaie d’obéir inconsciemment à l’image que lui renvoie son père par ses propos dénigrants … ma fille passe son temps à essayer d’aider les autres parce qu’elle veut réparer ce que sa mère lui fait…)

  • troubles scolaires, alimentaires, du comportement ; troubles du sommeil, encoprésie, énurésie
  • agitation, problème de concentration, anxiété
  • isolement, repli sur soi, agressivité tournée vers lui-même ou vers les autres, phobies, apathie, extrême docilité (il peut être jugé paradoxal d’indiquer dans le même point l’agressivité et la docilité ; il s’agit d’en tenir compte lorsqu’elles sont extrêmes. Un enfant bagarreur dans la cour de récré n’est pas forcément un enfant maltraité. Il faut observer d’autres signes. L’agressivité la plus dangereuse est celle que l’enfant va retourner contre lui, et même tournée vers les autres, elle peut en fait être inconsciemment contre lui, avec ce désir inexprimé d’être vu, entendu, ou en étant alarmiste… de vouloir supprimer son existence jugée coupable et injuste. Cette agressivité, encore une fois cumulée avec d’autres comportements, est à prendre très au sérieux puisqu’elle peut être le premier passage à l’acte avant la tentative de suicide)
  • peur induite par la manipulation. L’enfant est contraint de se soumettre à l’adulte ; il est victime, par introjection, du sentiment de culpabilité, de colère, d’angoisse, de cet adulte. L’enfant soumis à la peur se retrouve à la fois victime et coupable
  • comportements dangereux (mutilation, fugue, consommation d’alcool, de stupéfiants avec passages à l’acte)
  • mise à l’écart temporaire ou définitive du parent bienveillant ; agressivité retournée contre celui-ci
  • dépendance affective qui se développera à l’âge adulte : peur d’être seul(e), d’être abandonné(e), peur de ne pas « être à la hauteur » de l’amour reçu, dépendance extrême à l’autre, jalousie, relations affectives et amoureuses instables, comportement intrusif
  • troubles obsessionnels compulsifs
  • clivage (défense psychique  impliquant un partage entre une partie de soi blessée, et une part intacte) conduisant au mutisme. Le clivage permet à la fois de contenir des émotions afin de ne pas être submergé, et d’aller jusqu’à oublier ces émotions.
  • mimétisme et reproduction du comportement toxique) ; ce mimétisme peut être du en partie à une altération de la volonté qui survient sur le coup du choc émotionnel. Ceci est comparable à un effet de suggestion ou d’hypnose – il est d’ailleurs à noter que lors des groupes, les parents parlent fréquemment de « lavage de cerveau ». Le comportement révèle une peur honteuse, faite de soumission à celui ou celle qui pourrait être appelé(e) « geôlier ».
  • rejet partiel ou total du parent protecteur, dénigrement, diffamation
  • tentative de suicide

[1] On peut prendre comme exemples de ces comportements : la non information de choix médicaux, ou de traitements médicaux ; la non information du choix d’un établissement scolaire ; le refus de laisser son enfant communiquer avec l’autre parent ; le refus de laisser l’autre parent parler à son enfant lorsqu’il n’est pas en sa présence, lorsque ce n’est pas son «tour» d’hébergement et de droit de visite ; le défaut d’information du lieu de résidence des enfants pendant les périodes de vacances ; le chantage et la pression exercés sur l’enfant pour s’attirer son «amour» tout en dénigrant l’autre parent ; la victimisation, en accusant l’autre parent d’être responsable de toutes les souffrances endurées tant par la famille  dans son ensemble que par chacun de ses membres ; les mensonges tendant à discréditer l’autre parent aux yeux de l’enfant… Les exemples sont multiples. On peut considérer que toute parole, tout acte, tout geste ayant pour objectif de dénigrer l’autre parent, de le tenir à l’écart, de freiner ou stopper la communication et le partage d’informations légitimes, d’éloigner l’enfant d’un des deux parents, voir de rejeter ce parent, sont à rattacher au déni parental.

De « Victimes de violences psychologiques… » aux « Prisons familiales »

En janvier 2016, je publie aux éditions Le Passeur ce livre, Victimes de violences psychologiques, de la résistance à la reconstruction.


Un livre qui est « chaleureusement » accueilli par ses lectrices et lecteurs. Qui, je le crois, a aidé à mettre un terme à des situations de violences intrafamiliales et/ou conjugales complexes.
Un livre qui, à la demande de l’éditeur, n’est plus édité depuis 2017.
Comme s’il fallait taire ce pour quoi le livre a été demandé, les violences psychologiques.
Devenu indisponible partout, il atteint d’ailleurs en occasion des prix parfaitement délirants sur les sites marchands (actuellement et sur l’un d’eux, il est à 134 € en occasion. N’importe quoi…).

Les éditions Eyrolles et mon éditrice, Elodie Dusseaux, que je remercie, m’ont proposé de rééditer ce livre en 2019, un an après avoir édité Les mères qui blessent. Il s’appelle désormais Les prisons familiales. Complété, remanié, il apporte un éclairage sur les violences intrafamiliales et conjugales, sur la maltraitance faite au conjoint – principalement les femmes, sur celles faites aux enfants, jusqu’à l’inceste. L’inceste et l’incestuel, car il ne faut jamais minimiser un climat, un contexte, un mode de fonctionnement, un système.


La violence familiale devient un système dont il faut comprendre les ressorts pour pouvoir s’en libérer.
La puissance du bourreau ne peut exister qu’en fonction des « réponses » que sa ou ses victime.s lui adressent. Comprendre cette puissance créée de toute pièce et imposée pour posséder et détruire est une étape dans la libération.

Je ne parle pas spécifiquement dans ce livre du pervers narcissique, mais de « l’emprisonneur », puisque je parle de prisons. De prisons physiques, psychiques, sexuelles, émotionnelles. Parce qu’il semble presque impossible de comprendre les violences psychologiques, je m’y attarde afin de tenter d’apporter un éclairage informatif et préventif, si ce n’est curatif.

En 2020, je sors aux éditions Eyrolles Les séparations qui nous font grandir. Sortir de prison, oui. Se séparer de ce qui était attaché à la prison en croyances, en convictions, en émotions, en ressentis, en loyauté contrainte est essentiel. Pour pouvoir se détacher, « rompre » avec des liens trop contraignants, trop invalidants, trop lourds pour pouvoir vivre.

LE SYNDROME DE LA FÉE CLOCHETTE

LE SYNDROME DE LA FÉE CLOCHETTE

« Les fées adorent danser, voyez-vous ; et bien qu’elles oublient les pas, quand elles sont tristes, elles ont tôt fait de les retrouver quand elles redeviennent gaies. C’est la raison pour laquelle les fées ne disent jamais : « Nous nous sentons heureuses », mais : « Nous avons envie de danser ». Je suis sûr que vous avez remarqué que cela veut dire presque la même chose. La joie vous descend très facilement dans les pieds. »

Peter Pan, Sir J.-M. Barrie

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Après le syndrome de Peter Pan, et celui de Wendy, il apparaît incontournable d’évoquer le troisième, l’inséparable, le collatéral des précédents : le syndrome de la Fée Clochette. On le doit à Sylvie Tenenbaum, thérapeute, qui a identifié une nouvelle typologie « représentative de quantité de jeunes femmes actuelles », ainsi qu’indiqué en 4eme de couverture de son livre éponyme : Le syndrome de la fée Clochette, ces femmes qui font du mal et se font mal (Le Moment éditeur).

Et elle définit ainsi ces Clochette modernes : « Aussi charmante qu’insupportable, aussi enchanteresse qu’ensorceleuse, agressive et jalouse. Aussi intelligente que manipulatrice et cruelle. »

Petit retour en arrière, sur la Clochette la plus connue, la plus populaire pour tous : celle de Walt Disney. Clochette suit partout Peter. Où qu’il aille. Quoiqu’il fasse. Elle ne dit rien, elle secoue ses ailes, elle boude, elle fait la moue, elle ne répond à ses demandes que si celles-ci lui conviennent, elle le punit, elle s’éloigne et revient. Elle se fait enfermer et se cogne entre les parois de cette lanterne qui la maintient prisonnière (la lumière serait-elle un piège ?) Elle se montre d’une jalousie féroce, elle complote, elle s’en veut – mais jamais longtemps. Elle se montre espiègle et prépare des tours pendables. Elle pleure, aussi, elle se replie sur elle-même, et elle s’éteint lorsqu’elle ne fait plus rire.

« Chaque fois qu’un enfant dit: «Je ne crois pas aux fées», il y a quelque part une petite fée qui meurt. » (J.-M. Barrie)

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Clochette est donc absolument insupportable. Capricieuse, orgueilleuse et colérique. Exigeante et autoritaire. Pour autant, elle est charmante, séduisante, séductrice, mutine et coquine. Et Clochette (celle du conte et non celle du syndrome) en souffre. Car elle sait que non seulement elle a besoin de Peter Pan pour exister, qu’elle ne peut vivre sans lui et sa fantaisie, mais qu’elle est tout de même condamnée à être abandonnée par le même Peter s’il lui prenait l’idée de grandir, de mûrir. Aussi, et sans en comprendre le sens ou la raison, elle alterne ses sentiments, usant de l’un ou de l’autre, tout comme elle le fait avec ses comportements. Elle agit plus par instinct et impulsion que par réflexion… sa réflexion la menant le plus souvent au calcul stratégique.

Et le corollaire est vite fait. Si elle est stratège pour ses intérêts et seuls intérêts, la voilà manipulatrice. Le cercle se referme. Peter Pan, cet enfant qui ne grandit jamais, a besoin pour se protéger de l’âge adulte de sa Clochette, de sa fée. Elle le guide et veille sur lui, et le maintient dans ce monde imaginaire sans lequel il serait perdu. Quant à Clochette, elle vit dans une relation tout autant faite de dépendance. Si Peter, cet enfant impatient qui semble par instants lui appartenir, la quitte, elle n’est plus rien. Elle disparaît.

Dans ce même monde imaginaire où l’âge adulte est un danger tout autant qu’une crainte – puisqu’il mène aux responsabilités et à la mort – Clochette se sert de ce qu’elle fait le mieux : semer sa poussière d’étoiles et permettre de voler. Elle titille et pinaille et fait des blagues, et les enfants perdus en rient, et Peter applaudit. Quant à l’ego de Clochette, il ne fait que gonfler.

Peter Pan, comme Clochette, ne vivent pas leurs émotions, ne les ressentent pas profondément, et sont même incapables de les nommer.

« Clochette n’était pas totalement mauvaise ou, plutôt, elle était totalement mauvaise à ce moment-là tandis qu’à d’autres, elle était entièrement bonne. Les fées doivent être une chose ou l’autre: elles sont si petites qu’elles ne peuvent malheureusement héberger qu’un sentiment à la fois. » Sir J.-M. Barrie

Qui seraient alors ces femmes de notre monde actuel vivant en souffrant de ce syndrome ?
Si nous ne pouvons vivre sans nous ranger dans des cases au nom prédéfini, que contient celle de la fée Clochette ? En revenant sur ces grands traits de caractère de cette fée de conte, on peut penser à des femmes perfectionnistes, ambitieuses, d’apparence à la fois distante, et séductrices. Qu’on ne peut ni ne doit ignorer, sous peine de subir leurs foudres, et non leurs étoiles, mais qui vont jeter aux yeux de celles et ceux qui les admirent cette poudre qui « fait voler ». Stratagème pour endormir. Et de là à ce qu’un petit malin roublard crée une nouvelle analogie entre cette poudre aux yeux, cette poussière d’étoiles, et une autre poudre bien plus toxique, il n’est pas loin.

Elles sont donc forcément instables, sur le plan affectif. Elles séduisent, charment, ensorcellent, mais sont perpétuellement insatisfaites, courent (ou plutôt volent) derrière un absolu et une perfection qui, comme tout absolu et toute perfection, sont toujours inatteignables.

Et si elles se perdent autant dans cette quête d’absolu, c’est bien pour ne pas penser. Ni à elles, ni à leur histoire, ni à leur passé (bien sûr douloureux et pas réglé), ni à cette peur de ne plus être aimée, de ne plus être désirée.

Elles vont apparaître (ou laisser comme souvenir) comme des femmes insensibles, tyranniques, despotiques, instables, insensibles et jalouses. Le tableau manque de charme, puisque le charme est contenu dans cette illusion qu’elles projettent mais qui demeure bien loin de leur réalité.

Et bien sûr, elles sont inconscientes de tout cela. Si elles en souffrent, elles en projettent la cause sur les autres. Sur ce Peter qu’elles ont croisé, mais qui, lui, a décidé devenir un homme. Sur cette Wendy qui a su amadouer Peter, s’en occuper, et le retenir.
Certains pourraient, par une déduction d’une rapidité extrême, les voir comme des Amazones. Sauf qu’elles ne cherchent pas l’homme pour se reproduire ou combattre, elles le quêtent pour exister, tout en le détestant d’exister lui aussi.

Bien évidemment, c’est dans leur enfance que la cause de ce comportement sera cherchée. Une enfance où l’on croisera forcément un parent « toxique », une place « à part » d’enfant mal aimé ou moins aimé, une violence psychique ou physique refoulée, un besoin de se venger pour exister, une peur de perdre et d’être abandonnée, un besoin d’exister et d’être reconnue, une dissociation du moi… et que sais-je encore.

L’apparence prime, le décor l’emporte sur la réalité. Ce culte esthétique pourrait conduire à une nouvelle comparaison : ces femmes cherchant à être remarquables et remarquées à tout prix se transformeraient peu à peu et sans s’en rendre compte en femme – objet, prête à tous les sacrifices physiques pour peu qu’ils lui apportent le sentiment d’être.

Et au-delà de tout ça demeure une profonde et inévitable colère.

Colère contre tous, colère contre elles-mêmes.

Colère qu’elles contrôlent ou croient contrôler, comme elles imaginent tout contrôler, tout gérer. Ou comme elles le souhaitent, ce qui seraient pour elles tant un moyen de s’affirmer, que de prendre cette fameuse revanche sur la vie dont elles semblent avoir tant besoin.

C’est souvent face à la solitude que la colère se développe. Le désespoir aussi,

A la fois femme – enfant (ou adolescente) car trop immature pour mettre un nom sur ses émotions, pour les appréhender et les affronter, avec un besoin cruel de s’affirmer dans des « Non » répétés à qui mieux-mieux, et à la fois femme méprisante, castratrice, qu’on pourrait dire misandre, ce sont avant tout des personnes en souffrance. Et qui ont besoin d’aide même si elles ne le disent pas ou ne le demandent pas.
Parce que leur confiance en elles est et a été entamée voir interdite. Et que leur moyen de l’exprimer ressort dans cette dépendance affective inavouée et dans cette affirmation brutale d’un moi pas construit et non consolidé.

Il n’est donc absolument ni ludique, ni facétieux ni charmant de se retrouver sous l’étiquette du syndrome de la fée Clochette.
De petite fée virevoltante, les femmes ainsi qualifiées deviennent des prédatrices manipulatrices et vengeresses. En s’alliant à une Wendy, on retrouve presque la caractérologie des personnages féminins du film Les diaboliques, de Henri-Georges Clouzot. Et le risque demeure qu’en lisant rapidement ce type de terminologie, une femme en souffrance continue de se fuir, niant la réalité, ou sombre en dépression, croyant se reconnaître et ne sachant que faire.

Peut-on en guérir ?
Pour en guérir, il faudrait avant tout que ce soit une maladie.
Or, ce n’en n’est pas une, et il faut arrêter de voir et de mettre de la maladie, du pathologique, partout. Les fées Clochette, les Wendy, les Peter Pan ne sont pas malades, ils n’ont pas de troubles psychiatriques. Ils souffrent d’un trouble du comportement, d’un défaut d’estime d soi, d’une personnalité mal construire, d’un dysfonctionnement et d’une inadéquation entre réel, réalité, et vécu.

En revanche, si la lecture inquiète, surprend, rappelle « quelque chose que je connais très bien », elle est alors un signal. Non pas d’un « Mais qu’est-ce qui ne va pas chez moi (ou chez elle) ? » mais d’un « Il existe une solution, une aide, un soutien possible et constructif ». Si une, voir des prise(s) de conscience sont nécessaires, si elles vont être difficiles car génératrices de culpabilité (en soulignant que d’autres ont pu souffrir du fait de ces comportements instables), la construction de la personnalité effective est possible.

La fée Clochette souffre d’une faille. Narcissique, affective, abandonnique… Ce n’est ni en un article ni et encore moins en restant dans la théorie qu’il est possible de la déterminer, puisque nous parlons d’individus, de personnes, d’histoires personnelles et familiales, parfois de transgénérationel. Nous parlons aussi de relations interpersonnelles, d’affect et d’émotions. La personne en souffrance, en demande d’aide – même si elle n’en est pas consciente – doit pouvoir recevoir cette aide, et qu’elle lui soit bénéfique. A elle en tout premier lieu. Il ne s’agit pas de construire un monde individualiste, égoïste, ou chacun agit dans l’indifférence la plus complète et en ne se préoccupant en rien de ce qui l’entoure.

Il s’agit de se confronter, à soi, de se mettre face à son miroir, de chercher à être entendu(e), mais aussi d’entendre.

Alors syndrome de Peter Pan, de Wendy, ou de Clochette, que faut-il en retenir ?

Nous sommes aujourd’hui confrontés, de manière assez générale, à un paradoxe. On peut presque le comparer à cette double injonction qui détruit et est une arme de la violence psychologique. Il faut aller bien – c’est obligé puisque les clés sont distribuées facilement dans un certain nombre de périodiques. Mais si vous allez bien, si vous avez du caractère, si vous vous affirmez, si vous osez dire non ainsi qu’on vous y invite ; ou si encore vous êtes une personne « gentille », empathique, bienveillante ; ou encore, si vous avez un caractère joueur, espiègle… bref, qui que vous soyez, vous risquez d’aller mal si vous ne le vivez pas encore. Vous risquez de vous effondrer si vous ne l’avez pas déjà fait. Vous voilà prévenu.

Aussi, déterminer ce type de syndromes (qui n’ont, il faut encore une fois le répéter, aucune reconnaissance médicale mais reposent sur des analogies typologiques ou comportementales), communiquer sur ces syndromes a le mérite de mettre un nom sur une situation, une relation ou un comportement. Et c’est à la fois tout l’avantage et tout le danger des lectures. Elles sont éclairantes, mais insuffisantes. Elles s’adressent à tous, mais ne résolvent pas une situation. Elles peuvent également induire un autre danger : à défaut de s’y « reconnaître » et de mettre en place une démarche active pour « s’aider, soi », elles autorisent à se concentrer sur l’autre, et de ce fait à déplacer tant le problème que la difficulté. Ce qui maintient la personne en souffrance dans sa souffrance sans lui permettre d’aider qui que ce soit d’autre, puisque ses comportements seront toujours instables, disproportionnés ou inadaptés. Ce qui parfois peut même justifier ce qui sera ressenti comme une absence de progrès, d’évolution : se concentrant uniquement sur « l’autre », la personne en demande d’aide ne fera aucun travail réel sur elle.

Elle sera alors doublement en souffrance, le vivra comme une double peine, et se bloquera dans une forme de déni : y aurait-il tout de même un avantage à ne pas parler de soi, un « profit » à ne pas avancer ? Car la découverte de soi oblige toujours à une rupture : celle avec la personne que l’on était « avant ». Et accepter cette séparation est aussi difficile que salvateur. Accepter ouvre surtout la porte à une réalité : Je n’étais pas (plus) moi, je me retrouve, et je m’aime ainsi. Je suis un(e) humain(e), et non l’étoile que l’autre doit contempler, admirer, ou tenter de décrocher.

« Les étoiles sont très jolies mais elles ne peuvent prendre part à aucune action; elles se contentent de regarder sans fin. C’est une punition qu’on leur a imposée pour quelque chose qu’elles ont fait il y a si longtemps qu’elles-mêmes ne se rappellent plus ce que c’était. »
Sir J.-M. Barrie

©Anne-Laure Buffet
annelaurebuffet.contact@gmail.com

L’addition s’il vous plaît

L’addition s’il vous plaît

Vivre et quitter une personne toxique a un coût. La facture est considérable.

  • Mouchoirs (innombrables)
  • Heures passées à attendre, à anticiper, à imaginer le pire, à espérer le meilleur, à reconstituer l’histoire, à tenter de donner un sens à cette histoire ; heures perdues à trembler
  • Famille, amis, proches, travail, activités perdus de vue, arrêtés. ceux qui fuient quand la parole se libère, conscients de ne rien pouvoir faire et trop lâches pour assumer
  • Appels aux avocats, aux thérapeutes. Les rendez-vous, les minutes et parfois les heures dans les salles d’attente, les trajets la peur au ventre d’entendre qu’on ne peut rien pour vous, que c’est (peut-être) votre faute, que « ça va aller mieux maintenant », qu’il faut du temps, que « vous êtes sûr.e ? », que « un enfant n’est pas victime, il est témoin », que « vous croyez votre enfant ? »…
    Ces heures de remise en cause, de questionnements culpabilisants, de doutes qui ne cessent de grossir
  • Médicaments, traitements, plantes, hypnose, méditation, formation pour combattre et lutter contre la migraine, contre l’insomnie, contre l’anxiété, contre toute somatisation, jusqu’aux plus graves, aux plus handicapantes. Contre les envies suicidaires, contre la peur de demain, contre la peur d’hier, contre l’isolement
  • Temps passé à se dire : « Pourquoi ? », « Qu’est-ce que j’ai fait ? », « Et s’il avait raison ? »
  • Tribunal ; dossiers à constituer, photocopies à faire, accusés de réception à envoyer, à aller chercher, convocations sans raison, les convocations auxquelles il faut se présenter sans paniquer, reports, incidents de procédures, délais, ajournements, urgences qui n’en sont pas, demandes sans réponses…
  • Jours d’insultes et nuits de cauchemars. Et les marques sur le visage, celles du temps, celles de la peur, celles des coups qui ne s’effacent plus. Perte d’un travail, difficulté voire impossibilité d’en chercher un autre ; la certitude d’être incompétent.e, nul.le, invalidé.e
  • Déménagement ; un quotidien à rebâtir, sans pouvoir imaginer de quoi chaque jour sera fait, de quoi le réfrigérateur sera rempli, et comment l’électricité sera payée
  • Téléphone, mails, textos… Les minutes, encore, à réfléchir avant de décrocher, avant de répondre, sans pleurer, sans trembler. Les numéros bloqués et les juges qui en déduisent un refus de communiquer. Et c’est la faute. Vous ne parlez pas à l’ex conjoint violent ? Vous voulez l’éloigner des enfants. Vous ne communiquez pas avec lui ? Vous voulez l’éloigner des enfants. Vous transmettez toutes les informations demandées ? Vous le harcelez. Vous communiquez toujours trop ou trop peu et si vous ne communiquez plus, vous êtes « aliénant.e »
  • Vacances gâchées, vacances reportées, vacances annulées. Le repos impossible à trouver tant l’estomac est noué, l’esprit préoccupé. L’emploi du temps sans cesse bousculé par « l’autre », et la victime qui se met à dépendre de ses ordres, contre-ordres, exigences, urgences, accusations, le plus souvent orchestrés autour des enfants
  • Expertises sociales et psychologiques, MIJE, AEMO
  • Professionnels mal informés, mal préparés, auxquels il faut raconter, en pensant perdre encore du temps. Qui vont écouter distraitement, remettre en cause, demander des explications
  • Enfants à consoler, à protéger, à rassurer, à soigner, à gâter, à retrouver
  • Le temps, toujours le temps, qui file entre vos doigts, jusqu’au jour où il n’y a plus de temps

… et les honoraires des avocats qui tombent ; les ordonnances des médecins qu’il faut régler ; les assurances qui ne couvrent rien, et surtout pas le temps perdu à essayer de vivre…

Et ne vous y trompez pas : les personnes manipulatrices et/ ou avec trouble de la personnalité narcissique savent ce qu’elles font. Ce qu’elles sont obligées de donner d’une main, elles vont tout faire pour le reprendre de l’autre. Quand elles n’ont pas mis un tel contrôle en amont que la victime est déjà privée de toute ressource.

La violence psychologique comporte toujours de la violence économique. Beaucoup de victimes se retrouvent sans emploi, sans revenu. Ou elles travaillent avec leur bourreau, pour leur bourreau. Sans être déclarées. Sans reconnaissance sociale et fiscale, sans déclaration à fournir, alors qu’il va leur être demandé un salaire, des revenus, des cautions bancaires… Dépendantes financièrement de leur persécuteur, elles n’ont pas la possibilité de quitter le logement familial. Ce logement peut être un bien commun, et les victimes savent qu’elles vont devoir se battre juridiquement pour obtenir la part qui leur revient. Isolées, elles n’ont pas toujours la possibilité de se réfugier dans leur famille ou chez des amis. Si elles le font, c’est pour un temps court. Déjà contraintes par la peur de partir, elles se sentent d’autant plus prisonnières qu’elles n’ont pas les moyens de partir.

Il faut parler également des enfants, adolescents, jeunes adultes, étudiants, qui n’ont pas les moyens de se loger, de régler le coût de leurs études, de leur quotidien. Qui restent sous l’emprise d’un père – ou d’une mère – manipulateur, en espérant que « ça va s’arranger » quand ils auront enfin un travail. Un travail qui ne leur plaira pas, s’ils en trouvent un, mais qu’ils accepteront pour un salaire aussi maigre soit-il, pour fuir. Il s’agit également de ces enfants devenus adultes, encore pris dans un schéma violent où se mêlent culpabilité face à un parent âgé et honte d’une enfance maltraitante, et se retrouvent spoliés, déshérités.
Alors, certes, la victime finit toujours par payer l’addition. Mais qui règle ensuite ce que chaque victime pourrait demander en indemnité ?

©Anne-Laure Buffet
annelaurebuffet@gmail.com