INCESTE ET INCESTUEL

Rappel des derniers chiffres :
L’inceste c’est, encore aujourd’hui, 1 fille sur 5, 1 garçon sur 13.
C’est chez vos voisins, vos cousins, vos amis, vos proches. Peut-être chez vous.

L’incestuel est à l’inceste ce que la violence psychologique est à la violence physique : caché, tu, indicible, incompréhensible. Il en est la racine et la conséquence. Dans le secret le plus parfait, l’absolu mutisme. Il est criminel.

Le samedi 5 mars 2016, j’organisais un groupe de discussion autour d’un thème particulièrement douloureux, et intime : l’incestuel et l’inceste. Ce groupe s’est réuni en présence de Sophie Chauveau, écrivaine, auteure de La fabrique des pervers , paru en avril 2016 chez Gallimard. Sophie Chauveau est venue présenter son livre, « autobiographie » familiale, l’histoire des prédateurs sexuels de sa famille imposant l’inceste sur cinq générations. Un livre que Camille Kouchner évoque largement quand elle parle de son histoire et de son livre, La familia grande.


L’inceste, sujet encore bien trop tabou pour tout ce qu’il comporte de destruction et de violence sexuelle, ne peut être passé sous silence. L’ignorer, c’est ignorer les victimes de cette violence particulière, de cet acte criminel infligés par un parent (parent entendu au sens de la loi, donc comme tout ascendant ayant un lien d’autorité et d’éducation à son enfant. L’ignorer, c’est refuser d’entendre celles et ceux qui en ont été victimes, et qui le demeurent, même à l’âge adulte. L’ignorer, c’est admettre a contrario
qu’un parent puisse s’octroyer tous les droits sur son enfant, toutes les possessions et toutes les cruautés. Taire l’inceste, l’ignorer, le minimiser, se montrer « surpris », c’est être complice.
L’inceste est défini par la loi – modifiée en 2010 pour « élargir le champ des possibles coupables » – à toute personne ayant de fait ou de droit un rapport d’autorité à l’enfant au sein de la famille, incluant les frères et sœurs, les cousins, les conjoints suite à une nouvelle union. Jusqu’en 2010, l’inceste ne tombait pas sous le coup de la loi (loi de 1998) : c’est l’abus sexuel sur mineur, (aggravé si l’abuseur a une position parentale, éducative : père, beau-père, père adoptif, tuteur, éducateur…) qui était répréhensible et condamnable. (L’inceste entre adultes consentants n’est pas illégal…). Depuis, la loi du 8 février 2010 punissant spécifiquement l’inceste commis sur les mineurs, qui était jusqu’ici considéré comme une circonstance aggravante des crimes et délits sexuels, a été votée. Ce texte prévoit l’inscription de la notion d’inceste dans le code pénal et dispose que les viols et agressions sont qualifiés d’incestueux lorsqu’ils sont commis « au sein de la famille sur la personne d’un mineur par un ascendant, un frère, une sœur ou par toute autre personne, y compris s’il s’agit d’un concubin d’un membre de la famille, ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ».
Si la loi condamne l’inceste, elle limite sa pénalisation dans le temps, puisque ce crime reste prescriptible ; et la prescription est de 30 ans une fois la majorité atteinte. Ce qui signifie que passé 48 ans, aucune plainte ne peut plus être déposée contre l’agresseur. Or, la fracture psychique et l’horreur vécue par les victimes causent souvent, avec le trauma, une amnésie. Et c’est bien longtemps après, … bien après 48 ans…, que la mémoire se réveille, autorisant la victime à dire. À dire. Mais pas à dénoncer. Car, au regard de la loi, il est trop tard pour le faire…

L’incestuel est un néologisme créé par Paul-Claude Racamier (médecin psychiatre) destiné à expliquer l’ambiance trouble dans une famille sans passage franc à des actes sexualisés. Il définit un climat malsain et délétère où les relations revêtent un caractère incestueux.
Le parent s’approprie le corps de son enfant sans le différencier de lui-même, sous couvert de principes éducatifs ou pour la santé de son enfant. Au contraire de l’inceste, le parent n’est pas forcément conscient, ni de l’interdit, ni de son érotisation si c’est le cas, ni des dégâts infligés à son enfant. Les enfants, n’ayant en référentiel que celui de leur famille, pensent qu’il s’agit-là d’un modèle légitime.

Le climat incestuel est une vraie relation incestueuse. L’enfant n’est envisagé ni dans son statut d’enfant ni de descendant. Les adultes se l’approprient et l’empêchent de se discerner d’eux.
Comme l’inceste « vrai », consommé, le climat incestuel transforme l’enfant en objet.
Le climat incestuel est d’autant plus pernicieux qu’il ne s’exprime pas, qu’il repose sur des sensations. L’enfant est dans le flou. Se fait-il des idées ? À l’âge adulte, l’autonomie est difficilement acquise puisque l’enfant appartient au(x) parent(s). L’adulte reste infantilisé. Il n’a pas le droit et ne peut se détacher. Il n’arrive pas à sortir de la fusion avec le(s) parent(s) incestueux.
L’incestualité s’oppose à l’interdit, niant les différences entre les sexes, les êtres et les générations. L’enfant confronte l’adulte à l’enfant en lui, souvent non séparé complètement de ses propres parents. Cette remise en cause chez l’adulte s’exprime par un laxisme étonnant, une réelle difficulté à prendre position face à l’enfant, à assumer sa place de parent qui pose les limites et détient la loi pour le bien-être de celui-ci. Cette attitude peut être associée à un sentiment de culpabilité qui pousse le parent à vouloir faire mieux ou autrement pour son enfant que ne l’ont fait ses propres parents avec lui. Le risque est de basculer dans un trop grand laxisme et de laisser l’enfant devenir « tout-puissant »

Inceste vient du latin in-castus, « impropre, impur ». Dans un sens proche, nous trouvons aussi le mot « souillé » qui signifie « tâcher quelque chose, le maculer, le couvrir de quelque chose qui salit » mais aussi « contaminer par l’introduction d’impuretés, de germes dangereux » ; et enfin : « altérer ce qui était pur, intact, irréprochable, le marquer d’une tache morale». « Souillé » désigne donc un acte physique, mais aussi un affront moral. Le sens étymologique de ces mots renvoie à la notion de limite : limite franchie, intrusion par quelque chose de dangereux qui salit. L’inceste se définit comme un rapport sexuel entre deux personnes de même parenté : d’un parent sur son enfant ou d’un frère sur une sœur. L’inceste renvoie à un événement qui a eu lieu effectivement, c’est une violence profonde, sans échappatoire, dirigée sur un corps souvent physiquement plus faible et sexuellement immature. Il en ressort pour l’enfant le secret, la honte, une culpabilité effrayante, une confusion et une perte de repères quant à ses propres limites face à la violence de l’effraction. C’est l’inceste physique. Mais si l’inceste exige un rapport sexuel, il n’est pas que cela, il est aussi un type de relation à l’enfant. L’idée sous-jacente étant que l’évitement de l’acte sexuel incestueux n’évite pas la relation incestueuse.

L’incestuel est « un inceste sans passage à l’acte ». Il y a un point commun à ces deux violences : tout « inceste », qu’il soit physique ou moral, est d’abord une emprise qui s’exerce à un niveau narcissique : « ce sont des affaires narcissiques avant d’être des affaires sexuelles» dit Racamier, « l’abus sexuel, quand il existe, ne prenant que la relève de l’abus narcissique ». L’incestuel
ne peut surgir et persister que si la famille est complice et / ou contaminée : on parle de famille pathologique. Dans l’incestuel, l’interdit social intériorisé fait défaut et est remplacé par l’emprise, visant à dénier toute distance entre l’enfant et le parent risquant d’entraîner la différenciation. Au-delà de cette notion de narcissisme existe le secret qu’il ne faut surtout pas lever. L’inceste perdure et se transmet, devenant presque une « marque de fabrique », en tout cas un moyen d’être inconsciemment « admis » comme membre à part entière de la famille. « J’ai appartenue à mon père, comme mes frères lui appartenaient. Il a laissé nos oncles nous toucher. Aujourd’hui, mes frères reproduisent avec mes nièces ce que nous avons vécu enfants. J’ai protégé les miens. J’ai coupé les ponts. J’ai voulu dénoncer. J’ai été traitée de menteuse. Je ne mens pas. Ils n’auront pas mes filles. »

L’incestuel, pour P.-C. Racamier, qualifie « ce qui dans la vie psychique individuelle et familiale porte l’empreinte de l’inceste non fantasmé, sans qu’en soient nécessairement accomplies les formes génitales ». L’accent doit porter ici sur « non fantasmé ». L’inceste fantasmé, comme le meurtre fantasmé, définit en effet l’œdipe. L’inceste et l’incestuel ne relèvent pas du fantasme (du moins pas du fantasme mental) mais de l’agir (du fantasme agi).
Selon P.-C. Racamier : « L’inceste n’est pas l’œdipe, il en est même tout le contraire. »La relation incestuelle se définit comme « une relation extrêmement étroite, indissoluble, entre deux personnes que pourrait unir un inceste et qui cependant ne l’accomplissent pas, mais qui s’en donnent l’équivalent sous une forme apparemment banale et bénigne » (1992).
Ce qui différencie l’œdipe de l’inceste est qu’ici il y a un secret qui fait alliance avec un déni, le déni de la faute, le déni de la culpabilité. P.-C. Racamier affirme : « Le patient qui couche avec sa mère le fait non parce qu’il la désire, mais au contraire pour éviter de la désirer. L’acte pare au fantasme : « l’inceste a une fonction, celui de pare-feu libidinal. En exauçant le désir il vise à le
tarir, évacué d’avance le désir sera satisfait sans fantasme. Il ne reste rien à
désirer.
« 
La banalisation apparaît comme un obstacle majeur à la possibilité de repérer l’incestuel. Elle est fréquente chez les pervers qui tentent de faire passer pour normales, voire naturelles des conduites ou des situations familiales dans lesquelles des liens incestuels ou incestueux sont à préserver à tout prix.

Le cadre familial incestuel réside dans une confusion des places au sein de la famille. L’incestuel commence avec l’exhibition sexuelle ou « inceste moral » : les actes de faire l’amour devant son enfant, parader nu, tenir des propos à caractère sexuel, visionner des films pornographiques avec son enfant… sont considérés comme relevant de l’incestuel. Utiliser son enfant comme confident de ses aventures sexuelles, le photographier nu 1 ou dans des situations érotiques également. L’atmosphère qui règne dans les familles incestuelles est à la fois saturée de sexualité latente et marquée de la plus grande pudibonderie : c’est ainsi
qu’on pourra éteindre la télévision pour épargner aux enfants la vue d’une scène d’amour, mais aller avec toute la famille passer régulièrement les vacances dans un camp de nudistes. Or si l’enfant exprime un malaise, celui-ci doit être entendu.
Personne n’est obligé – en principe – à se montrer nu, à s’exhiber, à être exhibé.
L’autorité n’y est pas reconnue, de même que l’altérité. Les enfants de ces familles sont des enfants mais en même temps ils peuvent – et souvent doivent – se poser comme parents des parents ou du moins remplir telle ou telle fonction parentale :
« Quand ton père n’est pas là, c’est toi l’homme de la maison. » Le fonctionnement incestuel est difficilement perceptible, il est parfois simplement indiqué par le fait que les enfants n’appellent pas leurs parents papa et maman mais les désignent par
leurs prénoms. « Quand j’ai eu 13 ans, ma mère a trouvé que « maman » était ridicule ; Je devais l’appeler par son prénom. Et nous devions être copines. »
La confusion des identités est importante. Il n’y a pas de limites entre vie privée et vie familiale. La porte de la chambre à coucher des parents ne ferme pas, les enfants ne sont pas protégés de la sexualité des parents. Cette chambre devient un lieu de rencontre de toute la famille, des enfants et des amis des enfants, la télévision étant le prétexte à toutes les intrusions : la confusion entre l’espace privé et public est prévalente et révélatrice d’incestualité.
L’incestualité constitue une forme de ce que l’on est en droit d’appeler un « meurtre psychique ».

L’inceste ou l’incestuel touchent toutes les catégories sociales, sans exception.
Il n’est pas rare d’entendre des cas de climats incestuels qui se sont mis en place sous l’œil bienveillant de l’entourage, qui fait mine de ne pas voir, de ne pas savoir, de ne pas pouvoir agir ou parler. La négation de l’incestuel, tout comme celle de l’inceste, est une deuxième trahison pour l’enfant. D’une part la protection attendue n’a pas été au rendez-vous. D’autre part, une chape de culpabilité se met en place car la personne concernée se surprend à penser qu’elle a exagéré les événements.
Voir à ce sujet Eva, de Simon Liberati – histoire de Eva Ionesco, fille de Irina Ionesco et utilisée
comme modèle par sa mère pour des photos à caractère érotique et/ou pornographique. Voir aussi
My little princess, réalisé par Eva Ionesco.


Les enfants n’ont comme référentiel que celui de leur propre famille et pensent qu’il s’agit-là d’un modèle légitime. Il est de bon ton d’être attentif sans excès aux signes pouvant traduire un certain mal-être chez son enfant. Il peut y avoir de la maladresse car certains parents ne voient pas grandir leurs enfants, une absence de sensibilité ou une envie de trop bien faire. C’est là qu’il faut être vigilant. Si l’adolescente montre sa gêne, que le fils détourne le regard de sa mère dénudée, que l’enfant devient tout-puissant, il est important de saisir ces signaux.
C’est dans la répétition de ces actes gênants que prend naissance l’incestuel, qui se différencié du geste banal d’un parent bienveillant. Ce dernier cessera toute activité mettant l’enfant mal à l’aise, alors que celui qui est pris dans l’incestuel, ignorera le
mal-être de l’enfant.
Le complexe d’Œdipe, formulé par Freud, évacue presque totalement la responsabilité des adultes dans la genèse des troubles psychiques. La psychanalyse et les avancées thérapeutiques qu’elle a suscitées durant le siècle dernier ont joué un rôle majeur dans la mise en lumière des traumatismes infantiles fondamentaux que sont l’inceste et les abus sexuels. Pourtant, dès l’origine du mouvement psychanalytique, quelques thérapeutes et théoriciens ont pris au sérieux la parole des patients qui leurs livraient émotions et souvenirs intimes : il s’agit de thérapeutes comme Sandor Ferenczi ou Wilhelm Stekel, disciples puis dissidents
de Freud. Pour Sandor Ferenczi, l’héritier spirituel un moment pressenti du père de la psychanalyse, son différend avec Freud et sa mise à l’écart par celui-ci résida clairement dans le fait que Ferenczi ne se décidait plus à remettre en question la réalité des traumatismes rapportés par ses différents patients. Certains textes et discours, dont notamment La confusion de langue entre les adultes et les enfants qui décrivait déjà à l’époque assez précisément et courageusement la dynamique psychologique de l’abus sexuel et incestueux, le tinrent définitivement à l’écart du courant analytique officiel. Ferenczi déclarait notamment que :  » le complexe d’Œdipe pourrait bien être le résultat d’actes réels commis par des adultes, c’est-à-dire de passions violentes à l’égard de l’enfant, qui alors développe une fixation, non par désir, mais par peur.  » ou encore  » L’objection, à savoir qu’il s’agissait de
fantasmes de l’enfant lui-même, c’est-à-dire de mensonges hystériques, perd de la force, par suite du nombre considérable de patients en analyse qui avouent eux-mêmes des voies de fait sur des enfants. « .
De fait, la plupart des souvenirs de scènes traumatiques ne se manifestent aux victimes que sous la forme de symptômes physiques, de troubles sexuels, d’angoisses cryptées, de fantasmes, de rêves ou de régressions sans rapport avec un
traumatisme consciemment remémoré par le sujet. Il est donc aisé pour un thérapeute de dire à son patient que ces images et émotions sont des fantasmes œdipiens, irréels et sans support historique dans la vie de celui-ci.
La théorie freudienne, déjà remise en cause par Ferenczi, le sera également, et entre autres, par Alice Miller. Avant tout praticienne, c’est ainsi qu’elle a pu avec ses écrits à partir de cas de personnages historiques ou de personnes dont a elle a
pu avoir la charge et elle a pu ainsi démontrer l’importance de certaines souffrances enfantines. L’enfant est un être en devenir, et s’il se sent menacé par son entourage, il devra non seulement faire face seul à ses pulsions et vivre dans la terreur des adultes. L’origine du trauma peut dans un processus psychothérapeutique aide à lever le voile sur des vécus plus que difficiles.
L’inceste est la trahison de la confiance la plus élémentaire et indispensable devant être la source de l’équilibre moral et physique d’une famille – quelle que soit la famille. L’inceste en effet, dans le nouveau cadre légal, est défini comme « toute atteinte sexuelle commise sur un mineur par son ascendant, son oncle ou sa tante, son frère ou sa sœur, sa nièce ou son neveu, le conjoint ou le concubin de ces derniers, et le partenaire lié par un PACS avec l’une de ces personnes. »
Le parent n’est donc plus entendu au sens génétique stricto sensu, mais de manière symbolique, comme celui ou celle détenant une autorité générationnelle et éducative sur l’enfant.

L’inceste est défini par le passage à l’acte physique et sexuel, comme la consommation d’une relation sexuelle entre un père et sa fille ou un frère et une sœur, une mère et son enfant ou petit-enfant… Les « combinaisons » sont aussi nombreuses que dramatiques, toutes aussi dramatiques, sans échelle de valeur. Toutes DETRUISENT.
Sont également qualifiés d’actes incestueux, les attouchements sur les parties sexuelles, forcés ou demandés.
L’inceste est un comportement qui exige le secret. L’enfant a nécessairement besoin dans sa construction d’affection, et que cette affection se manifeste par un contact (être pris dans les bras, recevoir un baiser…). Mais ces contacts ont leurs limites là où apparaissent les tabous et les valeurs de la société. Ce qui est interdit, prohibé par la loi ou la morale, à savoir le contact charnel, sexuel qui interrompt la possibilité de choisir et de s’opposer, ainsi eu la réflexion et l’évaluation des notions de bien et de mal, est source d’inceste.
Ainsi de ce grand-père qui apprenait à nager à ses petits-enfants. En apparence, rien de particulier à les tenir, en maillot de bain, dans l’eau, pour leur permettre l’acquisition de certains mouvements. Les parents laissaient leurs filles en toute confiance, se disant qu’elles avaient la chance d’être avec leurs grands-parents, au soleil, près d’une piscine. Cependant ce grand-père « profitait » de la situation pour glisser ses mains entre les cuisses de ses petites-filles, âgées de 8 et 6 ans. C’est l’aînée des deux petites files qui a alerté ses parents : «Papi me fait des guilis dans la culotte quand je nage et j’aime pas beaucoup. »

L’inceste est la maltraitance envers les enfants qui éveille le plus de dégoût, tout autant que de rejet. Longtemps tu ou nié, il est aujourd’hui, enfin !, un sujet de discussion publique. Pour autant, évoquer l’inceste, en éveiller le soupçon au sein d’une famille, est encore très difficile. Il ne faut pas oublier que l’inceste se produit quelque soit le milieu social, le pouvoir économique, le développement intellectuel et culturel de la famille.
« Je ne me suis rappelée des attouchements dont j’étais victime de la part de mon père qu’il n’y a très peu de temps. C’est un homme d’affaires important, un patron. C’est un notable, dans notre ville. Impossible pour moi de le dire : je n’ai pas été
crue par ma famille. Papa est trop intelligent et a trop bien réussi pour être capable d’inceste. Il a cherché à me faire taire. Cela fait un mois que je suis internée, suite à une HDT (Hospitalisation à la demande d’un tiers). »
L’adulte violent sexuellement ne sait pas contrôler ses pulsions. « Regardez-la, regardez ces vêtements, son maquillage, elle n’attendait que ça… ! » S’il est vrai que certains adolescents peuvent être provocants dans leurs attitudes ou leurs gestes,
par manque de recul, manque de limites et de repères, besoins de se découvrir et d’affirmer leur personnalité, c’est à l’adulte de mettre des limites. Il doit être en mesure d’exercer un contrôle, non sur l’autre, mais sur lui-même.
Selon l’AIVI, « l’inceste peut être un viol : soit, tout acte de pénétration par voie orale (fellation), anale (sodomie) ou vaginale imposé avec une partie du corps de l’agresseur (doigt, pénis…) ou par l’utilisation d’un objet. L’inceste peut aussi
prendre la forme d’une agression sexuelle consistant à imposer un toucher sur le corps de l’enfant avec son propre corps (se frotter contre l’enfant, cunnilingus, masturbation…) à des fins de satisfaction sexuelle. L’enfant peut être forcé à pratiquer des gestes de masturbation sur l’agresseur, à l’embrasser ou le toucher où il le demande.
L’inceste, c’est également le « nursing pathologique » : sous couvert d’actes d’hygiène ou de soins, l’agresseur assouvit ses pulsions en pratiquant des toilettes vulvaires trop fréquentes, des décalottages à répétition, des prises de la température
inutiles plusieurs fois par jour, lavements…et ce jusqu’à un âge avancé de l’enfant. C’est une relation extrêmement fusionnelle qui s’instaure dans laquelle l’enfant est un objet sexuel.
L’inceste inverse les rôles : l’enfant devient le parent du parent, crée la peur et place la victime dans une constante insécurité. L’acte en lui-même provoque une sidération et une dissociation (phénomène de se couper en deux : sortir de soi-même) pour survivre à l’insupportable.
L’inceste est tellement traumatisant que la victime doit dans la plupart des cas, pour survivre, oublier et se plonger dans le déni, mécanisme de défense qui se met en place pouvant provoquer l’oubli total des faits. Dans ce cas, personne ne peut savoir quand les souvenirs vont se manifester à nouveau.
L’inceste ne survient pas comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu. L’inceste survient dans des familles où les limites sont floues, parfois depuis plusieurs générations. L’inceste survient dans les familles à transactions incesteuses / incestuelles.

F. Amblard propose une typologie de 3 couples parentaux que l’on retrouverait dans les familles incestueuses :

  • père dominant, mère soumise, disqualifiée par le mari ; la fille est parentifiée
    jusqu’à remplacer la mère auprès du mari ;
  • père soumis, mère dominante : elle disqualifie, humilie, méprise le mari qui se «
    console » auprès de sa fille ;
  • père et mère dominants, l’enfant sert de régulateur de tensions conjugales ; le
    père se rapproche de la fille pour « punir » sa femme.
    L’équilibre de la famille repose sur le secret, maintenu par des injonctions contradictoires (double- bind) qui enferment l’enfant dans la confusion psychique : « nous sommes une famille exceptionnelle ; tu as bien de la chance, tu ne dois rien dire de ce qui se passe à la maison… ». La levée du non-dit ferait exploser la famille (placement, séparation, incarcération…). Dans tous les cas ces couples sont immatures, et par leur immaturité même ne peuvent envisager la séparation. L’agresseur implique la victime dans un conflit de loyauté pour obtenir son silence en utilisant des phrases du type : « Si tu parles, tu vas détruire la famille ».

    Conséquences de l’inceste
    Lorsque l’abus survient dans la vie d’un enfant, sa personnalité est en plein développement ; il est généralement déjà en carence affective, puisque l’inceste survient dans des familles à transactions incestueuses (flous des limites, flou générationnel, couple parental immature, emprise…). Les dégâts vont dépendre de l’âge, de la fréquence et de la répétition, la forme du traumatisme… Il n’y a pas d’inceste « soft ». Pour la victime, l’inceste, c’est Hiroshima.
    C’est une invasion sensorielle à laquelle il n’est pas préparé, physiologiquement (en fonction de l’âge) et psychiquement : l’enfant cherchait de la tendresse, de la reconnaissance, de l’attention, il reçoit du sexe. « Son système sensoriel est saturé,
    son système émotionnel est trompé » (Amblard, p. 27)
    a) Destruction de l’imaginaire
    L’imaginaire se construit sur un mélange de fantasmes oedipiens et de non-passage à l’acte (l’enfant fantasme « j’épouserai maman », « j’épouserai papa », mais bien sûr, ne passe pas à l’acte !). Mais dans l’abus, il y a passage à l’acte (du parent sur
    l’enfant) et absence de fantasme (le passage à l’acte du parent tue le fantasme sain de l’enfant) Le passage à l’acte détruit le fantasme puisque celui-ci peut être suivi de réalité : l’imaginaire est détruit.
    L’enfant abusé / incesté n’a plus de place, il n’est plus personne : l’abuseur ne reconnait pas l’autre dans son altérité, car il l’a pris comme un objet. L’enfant incesté est mis à une place qui n’est pas la sienne. Dans le développement de l’enfant, celui-ci constitue son identité dans le regard de l’autre. Là, l’autre ne le regarde pas, l’autre l’annihile. (Les abuseurs, lorsqu’ils abusent, sont sans empathie, ils n’éprouvent que leur propre monde mental qu’ils projettent sur l’autre : « c’est lui/elle qui voulait », « c’est lui/elle (la victime) qui avait envie, qui m’a allumé… »).
    b) L’enfermement dans la solitude
    l’enfant qui subi l’inceste est dans une confusion mentale totale ; tous ses repères, s’il en avait, ont volé en éclat ; il est
    comme pétrifié, enfermé par les injonctions contradictoires et le secret. Il n’est plus un enfant comme les autres ; seul parmi ses pairs, qui pourrait le comprendre ?…
    Conséquences de ces conséquences : l’enfant se coupe de son ressenti. Reste comme un magma de sensations non nommées, non reconnues : l’alcool, la drogue, l’anorexie, la boulimie, pourront être plus tard des moyens de faire taire ses sensations « inrepérables ».
    c) Culpabilité et honte : l’abus disqualifie l’enfant, « je suis nul, c’est de ma faute,
    c’est bien fait pour moi, de toute façon, je ne vaux rien ». Si l’abuseur a rendu l’enfant responsable, le sentiment de honte et de culpabilité sera renforcé… : il porte la honte que son agresseur ne ressent pas. En effet, la honte est une émotion humaine et sociale : elle est le « clignotant rouge » qui s’allume à chaque fois que nous risquons de franchir la ligne qui sépare l’humain et de l’inhumain. Le criminel ayant, pour franchir la ligne, refoulé (inconsciemment) sa honte, elle est projetée sur la victime, qui porte alors la honte de son agresseur.
    L’enfant victime n’est en rien coupable : toute la culpabilité appartient à l’abuseur, et aux adultes qui sont responsables de l’enfant et n’ont pas su/pu/voulu le protéger) ; les conséquences peuvent être alors que toute autre expérience de plaisir ramène à l’abus ; que le plaisir soit recherché de manière compulsive, et/ou que le plaisir de la relation affective soit clivé du plaisir sexuel.
    d) L’incapacité à dire non, à poser des limites
    L’enfant n’en a jamais connues (l’absence de limites préexistent à l’inceste). De plus l’envahissement corporel détruit la sensation de limites ; enfin, le fait de se couper de son ressenti augmente encore l’incapacité à ressentir les limites. Le
    développement de l’identité de l’enfant, en construction au moment de l’abus, s’arrête et se fige en se construisant sur l’abus.
    Le désir est devenu pervers ou dangereux, le plaisir est ambigu, le lien d’amour est trop risqué (on y risque son intégrité et son être), et la sexualité ne peut s’inscrire dans un lien d’amour.

    Le devenir de ces personnes victimes est abîmé, perturbé, fractionné, avec des risques graves qui s’étaleront dans le temps :
  • Dépressions chroniques
  • Délinquance,
  • Echec scolaire, professionnel
  • Troubles sexuels et troubles affectifs
  • Anorexie, boulimie, toutes les addictions,
  • Prostitution
  • Tentatives de suicide et/ou suicides
  • Bouffés d’angoisse
  • Bouffées délirantes, psychoses
  • Troubles graves de l’image corporelle
  • Rituels obsessionnels de lavage
  • Reproduction à la génération suivante (8%)
  • Sexualité compulsive ou absence de sexualité
  • Tendance à vivre des relations abusives (affectives, sexuelles,
    professionnelles…)
  • Incapacité à vivre simultanément amour et sexualité dans une même
    relation…

    L’AIVI est une association internationale à but non lucratif, animée par un groupe de survivants de l’inceste, de proches de survivants et de citoyens impliqués dans la lutte contre le fléau de l’inceste. Elle a été fondée par Isabelle Aubry, survivante de l’inceste, en 2000. L’association est ouverte aux victimes de l’inceste et à leurs proches et à toute personne citoyenne du monde, désireuse de soutenir la cause que nous défendons. L’inceste n’a pas de frontières, AIVI non plus. Partout où ce fléau sévit, nous avons une raison d’être et d’agir. http://aivi.org

  • Lire également ce témoignage : « Parfois on a envie que tout s’arrête, que toute cette souffrance et cette injustice cessent et laissent leur place à un bonheur indéfectible. On a banalisé l’inceste pendant des années alors qu’il est aujourd’hui qualifié du pire crime possible par des psychologues, des psychiatres, des professionnels de l’enfance ou du social. Le fait est que oui, c’est le pire crime possible. Bien sûr, les autres crimes sont horribles également, ils sont douloureux aussi ; nous ne disons pas le contraire. Seulement, l’inceste, par définition, c’est une personne ayant autorité (un père, une mère, un beau-père, une belle mère, une sœur, un frère, un grand père, une grande mère, un oncle une tante…) sur un enfant qui lui fait subir une agression sexuelle. Ça peut être des attouchements ou bien des viols. C’est une atrocité sans nom pour la victime. Ce que l’on a dans notre tête quand ça nous arrive, c’est du vide. Notre cerveau part dans une autre dimension parce que c’est beaucoup trop dur à accepter. On a mal, on a froid, on a peur mais on ne dit rien. Comment dire à sa mère « arrête ! qu’est ce que tu fais avec tes doigts en moi ? » ou à son père « mais papa, pourquoi tu mets ça en moi ? ». On ne dit rien, simplement parce que ce sont nos parents, parce que soit l’on ne sait pas que ce n’est pas normal, soit nous avons tant de respect pour la personne, pour la figure d’autorité qu’elle représente ;qu’on ose rien dire et qu’on ne se rebelle pas. Il n’y pas lieu donc, d’avoir de notion de consentement. Comment pourrait-on consentir à une atrocité de la sorte ? Comment pouvons-nous tenir tête à un adulte si conscient, qui sait ce qu’il fait ? Comment pouvons nous nous défendre quand on nous force ou bien refuser quand c’est amené avec tant de douceur. Nous sommes, nous étions des enfants, ce n’était pas à nous de dire « oui » ou « non ». Cette question n’a pas lieu d’être dans l’instruction. Tout, dans ces situations, est très paradoxal. On a besoin d’amour, alors on est prêts à tout pour ne jamais se retrouver seuls, on a besoin d’avoir une famille, alors on ne parle pas. Quand on parle, on fait tout pour nous faire taire. On dit que c’est nous le problème, que de toute façon, on a jamais rien compris à ce qu’étaient vraiment les relations familiales.
    Ces familles, c’est le royaume de l’omerta. Ces familles, elles culpabilisent les victimes, elles engorgent la justice et elles pourrissent des vies. On pourrait se dire qu’une fois que l’on a mis des mots sur nos maux ; tout va mieux, tout est fini. Ce n’est pas vrai, au contraire. Parler, c’est le début d’un long chemin de souffrance. Parler, c’est ramener une sorte de réalité dans cet incroyable monde indescriptible. C’est se remémorer des actes terribles, douloureux. C’est devoir aller porter plainte pour se faire entendre, c’est ensuite, entreprendre des psychanalyses, des thérapies de tout genre. Quand on a vécu ça, on est morts à l’intérieur. On a beau mettre tout en œuvre pour vivre de façon agréable, en essayant de créer du lien avec les gens qui nous entourent, en essayant de se rendre utile : on est morts à l’intérieur. Tout en nous est déréglé, nous ne savons pas comment faire avec les gens, nous ne savons pas si l’on doit expliquer pourquoi on a si peur de prendre le bus, de marcher dans la rue. Nous ne savons tout simplement pas. On a plus de famille parce qu’on a parlé et que du coup, ils nous abandonnent (bien souvent littéralement, nous n’existons plus), mais en plus on doit supporter la double peine que nous inflige le dépôt de plainte. Nos parents, notre famille, qui doivent nous protéger, ne l’ont pas fait. C’est le grand problème : on a été construits sur des modèles complètement hors de toute réalité. L’après est loin d’être plus simple que le pendant. L’après est fait de cauchemars, de doutes, de peurs, de solitude, de pleurs. On est taraudés entre de la colère, l’envie de tout oublier, l’envie de faire bouger les lignes, l’incompréhension de la majorité des gens, l’envie d’être normaux, heureux et cet épuisement de toujours répéter. L’inceste touche énormément d’enfants. Ce ne sont pas las auteurs qu’il faut protéger ; ce sont ceux à qui on ôte a vie par cet acte. Ils sont toujours en vie physiquement, mais leur psychisme est mort. Ils deviennent addicts, dépressifs, violents, antipathiques, anorexiques, dangereux et reproduisent s’ils ne sont pas pris en charge à temps. Nous nous devons de faire en sorte que la société de demain soit composée d’adultes qui ont eu une enfance protégée. Nous ne pouvons pas nous permettre de sacrifier l’enfance parce que c’est moche de parler de tout ça. Nous sommes tenus de parler, nous sommes tenus de faire passer le message. » Emma Moulin

  • @Anne-Laure Buffet

    BIBLIOGRAPHIE
    Filmographie :
    Festen, de Thomas Vinterberg, 1998
    Les chatouilles, de Andréa Bescond et Eric Metayer, 2018

    Essais :
    Les prisons familiales – Anne-Laure Buffet, Eyrolles 2019
    Les mères qui blessent – Anne-Laure Buffet, Eyrolles 2018
    Confusion de langue entre les adultes et l’enfant – Sandor Ferenczi, Petite
    bibliothèque Payot
    Incestes – Puf
    Enfants violés et violentés, le scandale ignoré – Gérard Lopez, Dunod
    Les abus sexuels – Pr Florence Thibaut, Odile Jacob
    Le livre noir des violences sexuelles – Dr Muriel Salmona, Dunod
    Jouer au papa et à l’amant, de l’amour des petites filles – Nancy Huston, Ramsay

    Autobiographies :
    La fabrique des pervers, Sophie Chauveau, Gallimard 2016
    La familia grande – Camille Kouchner, Le Seuil
    Le petit vélo blanc – Cécile B., Calmann-Lévy
    Renaître de ses hontes – Laurence Noëlle, Le Passeur
    Ne le dis pas à maman, suivi de Ils ont laissé papa revenir – Toni Maguire, Le livre de Poche
    La porte du fond, Christiane Rochefort, Grasset 1988