Voici la question qui fait mal ; et à laquelle nous essayons de répondre dans ce podcast. Invitée par Judith Duportail, Coco Spina et Samuel Dock au micro de leur podcast Self-care ta mère, nous nous interrogeons sur notre possible toxicité, sur notre part de responsabilité, sur notre engagement ou désengagement dans nos relations. Sur nous. Nos comportements. Nos schémas de pensées, et nos biais cognitifs.
Un podcast qui remue, qui bouge, qui déménage et dérange. Parce que prendre conscience de qui l’on est et de comment l’on agit peut être dérangeant… mais ô combien nécessaire !
Cette semaine, j’interviens dans deux émissions / podcast, que je vous invite à découvrir.
Le premier est L’Ire du dire. J’y suis invitée par Carole Carcillo Mesrobian, pour présenter mon livre Tous toxiques, tous victimes ? et parler de harcèlement, de violences, de toxicité, de narcissisme, de violences intrafamiliales, mais également de notre société, victimaire, pressée, où la frustration est impossible, le manque n’existe pas et ne doit pas exister, l’urgence et la demande permanentes. Un besoin de discernement, d’élaboration, d’esprit critique, de sens se fait de plus en plus sentir. C’est ce sur quoi nous échangeons Carole et moi, sans oublier la nécessité de considérer (enfin) les enfants et leurs droits, et la place du féminisme actuel.
Le deuxième podcast est Coclito, réalisé et animé par Caroline Facy. Un podcast qui réveille la sexualité en l’amenant vers la poésie et l’esthétique. Nous y parlons bien sûr sexualité, féminité, féminisme, relations à l’autre et relations à soi, toxicité et violences, construction individuelle et construction des relations, amour et amitié, enfance, renoncement et acceptation. Je m’y livre aussi, un peu…
Un peu de moi, beaucoup de vous, pour vous, à écouter ou ré-écouter dans ces deux podcasts. Toujours le même plaisir à partager, à parfois essayer de dénoncer, faire avancer, bouger, comprendre, mettre en lumière des situations, des relations, des comportements qui nous touchent, nous heurtent ou nous élèvent.
La perversion narcissique. Un sujet dont j’ai beaucoup parlé et sur lequel j’ai beaucoup écrit. Sur ce qu’elle est, sur sa réalité – ou non, sur sa mise en oeuvre, sur les comportements induits, tant chez l’auteur des violences, que chez la victime. Il s’avère que… est-ce un hasard ? Mon ancien blog a été piraté. 9 années de travail détruit ou volé.
C’est ainsi.
Donc, je continue, reprends et recommence. La perversion narcissique. Ce grand marronnier qui fleurit allègrement au printemps… D’ailleurs depuis un an on en entend moins parler, le Covid ayant pris et de loin la place, ce qui laisse une violence conjugale, psychologique et physique, mal expliquée, mal comprise, mal entendue et mal défendue, s’installer, et s’aggraver. Les bourgeons du marronnier « pervers narcissique » apparaissent donc généralement au printemps pour éclore magistralement avant l’été, entachant déjà bien des relations d’une ombre perfide, avant de se disperser à l’automne comme les feuilles au vent… La perversion narcissique, ou plus exactement le terme de « pervers narcissique » est aujourd’hui employé à toutes les sauces pour désigner tout, n’importe quoi et son contraire. Au premier retard, à la première dispute, au premier désaccord, à la première remarque désobligeante, on hurle au pervers narcissique, monstre en puissance dont l’unique objectif est de vous détruire. Seul « l’autre » est visé, et l’autre est communément compris comme étant un homme. Car une femme ne pourrait manifestement être narcissique et perverse, manipulatrice.
C’est en tout cas ainsi qu’il est fréquemment présenté, ce vampire psychique.
Fréquemment et même plus que ça. Il est devenu un sujet, un produit à marqueter. Journaux, articles, vidéos, documentaires et reportages de qualités très diverses sont là pour en parler. Et, de fait, pour parler de sa proie, puisqu’il est prédateur, de sa victime de celle – forcément celle – qui subit injustement et sans raison ses attaques destructrices.
Que d’amalgames et de confusions ! Que de craintes nées chez des personnes en difficulté dans leur couple ou dans leurs relations ! Que d’impossibilités posées pour se positionner et se responsabiliser – car si la victime est décrite uniquement comme quelqu’un qui « s’est faite avoir » car trop gentille, trop sensible, trop « empathique », où se situe sa capacité à comprendre pourquoi, comment, où se situe sa place dans la relation si ce n’est une fois de plus et uniquement comme un objet ? Déjà traitée comme un instrument de puissance et de pouvoir à manier puis à détruire, utilisé par une personne à la structure psychique perverse, voilà cette victime obligée de se contenter de cette nouvelle ; elle n’était qu’un outil ou un punching-ball, un catalyseur et un déversoir de toutes les frustrations de son agresseur. Ce que cette victime a cherché et trouvé, inconsciemment certes, dans la relation, ne lui appartient plus. Infantilisée par son « bourreau », elle est désormais « déresponsabilisée » par ces propos, affirmations et contre-vérités. Ces mêmes propos qui, pour lui offrir un peu de réconfort, vont l’inviter à un grand réveil de sa conscience et surtout de sa confiance en elle, évitant de s’interroger sur la structure de cette victime, lui proposant le plus souvent de se « réveiller » (on se croirait presque au pays des woke), de retrouver sa force et sa lumière à grand concours de respiration, de tambours chamaniques et autres liens et lieux faussement spirituels. Son ou ses traumatismes ? Ignorés. Sa souffrance, son trouble profond ? Ignorés eux aussi. En revanche, qu’elle y croit ou non, elle est rassurée. Car, forcément dite « résiliente » (encore un terme bien trop utilisé), elle possède un sésame vers le bien-être. On lui parlera de « l’enfant intérieur » à aller protéger et rassurer. Et voilà ladite victime embarquée dans un voyage vers elle-même dont elle ne comprend pas ou plus exactement ne ressent pas réellement l’intérêt. Car toutes ces « méthodes » ou pseudo méthodes évitent de traiter un sujet : le trauma, celui résultant de l’emprise, et celui ayant mené à l’emprise. Quant aux conséquences du traumatisme, elles sont de fait écartées. Le seul « travail » proposé est sur l’émotion. Sont alors offerts des mots » à la place des maux », sympathiques comme des gros doudous, vaguement consolateurs et bien insuffisants.
Car la victime n’est pas « que » une victime, elle est avant tout un être humain avec sa propre structure, son contexte, son parcours, son histoire personnelle et familiale, son individualité, ses composantes. La traiter en enfant blessé, c’est la maintenir à l’état d’enfant. À terme, c’est maintenir une emprise.
Revenons à quelques principes. En 1986, le psychiatre et psychanalyste Paul-Claude Racamier dénonce les abus psychologiques et sexuels d’hommes et de maris violents. Le terme de « pervers narcissique » apparaît. Il évoque les maltraitances psychologiques et ce terrible oxymore qu’est le « devoir conjugal[1] ». Nous retiendrons entre autres cette observation : « Le pervers narcissique accompli se montre socialisé, séducteur, socialement conforme et se voulant supernormal : la normalité, c’est son meilleur déguisement[2]. » Puis Marie-France Hirigoyen écrit Le harcèlement moral, complété en 2005 par Femmes sous emprise : les ressorts de la violence dans le couple. La violence conjugale, en particulier celle faite aux femmes, est décrite et dénoncée. Elle ne peut plus – ou ne devrait plus – être tue ou minimisée. Pourtant ce n’est que récemment qu’il est admis de dire qu’un mari violent est un père dangereux. Pour Édouard Durand[3], défenseur des victimes, femmes et enfants, « on a tendance à séparer ce qui se passe dans le conjugal et dans le parental. Comme si la violence dans le couple n’avait pas d’incidence sur la famille, ce qui est irréaliste[4] ».
Quant aux hommes mariés à des femmes « perverses narcissiques », ils le reconnaissent encore plus difficilement, véhiculant malgré eux cette injonction sociale selon laquelle un homme ne peut subir les comportements violents, psychologiques ou physiques, d’une femme. L’homme, le « sexe fort », ne peut être opprimé. Quand il ose le dire, il est disqualifié et accusé de se faire passer pour victime pour faire taire la parole des femmes. Ite missa est.
Le terme fourre-tout de « pervers narcissique » n’est ni un diagnostic et ni une pathologie. Ce n’est pas contagieux, ça ne se transmet pas. Il se rapprocherait du « trouble de la personnalité narcissique », c’est-à-dire « un mode durable des conduites et de l’expérience vécue qui dévie notablement de ce qui est attendu dans la culture de l’individu, qui est envahissant et rigide, qui apparaît à l’adolescence ou au début de l’âge adulte, qui est stable dans le temps et qui est source d’une souffrance ou d’une altération du fonctionnement ».
La structure psychique du pervers narcissique, dont l’attachement primaire s’est mal élaboré, repose sur des mécanismes de défense solidement installés ; les déconstruire est quasi impossible. Le narcissisme est sollicité constamment et doit être défendu et renforcé, s’appuyant sur le pouvoir et la puissance en permanence quêtées ; la perversion permet non seulement de tirer profit de ce que la victime a de meilleur mais également de faire croire presque définitivement à cette victime qu’elle n’a rien de bon. La perversion détourne le bon de ce qu’il a de bon, en laissant le profit à l’auteur des violences et faisant penser à la victime qu’elle agit, pense ou ressent mal.
La notion a perdu de sa substance et beaucoup se retrouvent ou s’identifient comme victimes de pervers narcissique sans que ce soit le cas. Ainsi on entend ou lit communément mon pervers narcissique. S’approprier ledit « pervers narcissique » empêche tout détachement, toute autonomie. Comme si « le nôtre » était beaucoup plus dangereux qu’un autre. Comme s’il fallait revendiquer le droit d’en avoir un dans sa vie. Le mien fait ceci, le mien fait cela… et les comparaisons vont bon train, tout comme les questionnements dénués de toute logique. Est-ce que votre PN vous a déjà fait un cadeau ? Quel est le signe astrologique de votre PN ?
Souffrant d’un sentiment d’infériorité conscient ou refoulé, le tyran le compense par un pouvoir coercitif total reposant sur la dissimulation et la manipulation de la vérité à son seul profit, pour mieux instrumentaliser et réifier, objetiser l’entourage jusqu’à la dépersonnalisation complète.
Sa violence est indicible et ne laisse ni témoin ni trace alors qu’elle permet le meurtre psychique parfait. Socialement, le « pervers narcissique » est agréable, intéressant, protecteur, généreux, brillant, séducteur, drôle tout en sachant attirer la sympathie et la compassion. Il sait se faire plaindre comme il sait se faire admirer. Sa compagnie est recherchée. Ce qu’entend sa compagne ? « Tu as de la chance (suit l’énumération de ses qualités ), vous formez le couple idéal ! » Il manie la rhétorique et la contradiction avec talent, ce qui lui permet de duper son entourage.
Sa violence psychologique est également physique. C’est la violence physique ordinaire. Ordinaire car anodine. Elle n’attire pas l’attention et ne prête pas à conséquences. C’est une violence car son systématisme et sa répétition rendent insupportables ces comportements. Et c’est physique car s’il n’y a pas de coup, il y a en revanche un épuisement chez la victime et une tension non seulement nerveuse mais également musculaire. Elle s’abîme, se replie sur elle-même. Son corps devient douloureux. Sans bleu. Sans blessure. Sans marque.
J’ai reçu en consultations de nombreuses victimes. Toutes rapportent des douleurs et des difficultés physiques et cognitives comparables : perte de concentration et d’attention, migraines répétées, douleurs musculaires et articulaires, difficultés respiratoires et digestives. Reprenant ici le titre de l’essai du psychiatre américain Bessel Van der Kolk, il est évident que le corps n’oublie rien[5].
C’est un caméléon des sentiments qui passe du rire aux pleurs, de la colère au désarroi, de l’indifférence au mépris, de la menace à la fausse excuse en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. La compréhension et la communication deviennent impossibles, installant chez la victime le doute permanent sur ses propres facultés intellectuelles et émotionnelles. Il se montre (trop) protecteur, laissant sa victime penser qu’elle ne sait pas faire ou qu’elle est en danger, inapte, malade, voire folle. Cette pathologisation de la victime repose sur la stigmatisation de tous ses comportements. Toutes ses réactions seront qualifiées d’inappropriées, de dysfonctionnelles, d’inadaptées ou d’irrationnelles. Mais l’omniprésence de celui qui se présente comme un protecteur-sauveur laisse penser à la victime qu’elle est en sécurité. À condition qu’elle en accepte les conséquences ; car l’aide du tyran n’est jamais gratuite, il réclame une reconnaissance éternelle, et s’il n’est pas remercier, il criera au manque de respect.
Incapable de la moindre excuse et du moindre pardon, il ne se remet jamais en cause.
Excellent bonimenteur, il vend ses arguments avec brio et laisse sa victime pantoise et convaincue de ses propres torts. Il joue la victime parfaite, en souffrance mais pudique, malheureuse mais compréhensive – après tout, sa femme est folle – et cette fois, devant témoins. Maître en gaslighting[6] et injonction paradoxale[7], il passe du mépris à la menace, du silence à la colère disproportionnée et effrayante. Colère si imprévue, si subite et si violente qu’elle en est traumatisante et plonge la victime dans un état de sidération.
Il harcèle pour empêcher toute tentative de fuite ou d’évasion. En manipulant, il a attiré sa victime ; grâce au harcèlement, il la maintient, la contrôle et l’enferme. Parfois jusqu’à la mort volontaire de celle-ci, ce qui n’est rien d’autre qu’un suicide forcé[8].
On dit souvent du pervers narcissique qu’il n’a aucune empathie. Pourtant il n’en n’est pas dépourvu ; s’il n’a ni sympathie ni compassion pour sa victime, il est doté en revanche d’une très forte empathie cognitive qui lui permet non seulement de comprendre mais aussi d’anticiper les mécanismes et affects mis en œuvre chez sa victime. Coupé de ses émotions, il n’est pas affecté. C’est une dissociation totale et quasi irréversible puisqu’il se satisfait de qui il est. Il est donc capable d’interpréter les états mentaux[9] d’autrui, de prévoir un comportement ou une réaction sans rien éprouver, développer une stratégie pour obtenir de sa victime le comportement souhaité et provoquer l’émotion qui y sera attachée.
Les confusions et des généralités sont dangereuses pour ceux qui y croient et pour ceux qui les écoutent. L’avantage du terme « pervers narcissique » est de se référer à un danger et à la gravité d’une situation. Le risque est que cette situation soit confondue avec d’autres où il n’est question « que » de jalousie, de possessivité exagérée, de comportements colériques. Ou d’une relation toxique, dysfonctionnelle. Sans emprise, sans le sectarisme du pervers narcissique. Car il est sectaire. Ses comportements sont non seulement répétitifs et coercitifs, laissant s’infiltrer une peur permanente, un doute constant, une croyance en une impossibilité de réagir ; ils ont également pour objet et intention d’isoler totalement, d’infantiliser, d’objetiser, de faire naître des croyances liées à la religion, à la sexualité, à tout ce qui est de l’ordre du spirituel, tout comme du matériel, s’appropriant les biens, les compétences et les capacités de la victime. Il prend une victime pour l’intérêt qu’elle représente, la broie, la pille, la lamine, l’essore comme on essore une éponge, inlassablement.
Ainsi, à mal comprendre, on en exagère la présence ou on la rejette. Oui, mais le tien, il n’était pas pervers narcissique. Paf. Dix points en moins, vous n’aviez pas le bon bourreau.
Comprendre les amalgames évite de se croire capable de détecter un pervers narcissique comme on repère à l’odeur un départ de feu ou une fuite de gaz. Or toute prétendue victime s’attribue cette capacité : elle aurait désormais un super-radar, elle SAURAIT identifier ce monstre, s’en tenir à l’écart et prévenir la terre entière, la protégeant de cet être ignoble et malfaisant. Et j’insiste sur le « prétendue ». Les personnes ayant eu dans leur vie un individu avec un trouble de la personnalité narcissique ne partagent pas cette conviction. Si elles ont eu besoin de nommer des comportements et de tenter de comprendre un fonctionnement, elles cherchent à identifier ce qui leur fait du bien et ce qui les fait souffrir, elles en cherchent les causes, elles effectuent un travail de reformulation, d’introspection, de compréhension long et souvent douloureux. Elles ne sont plus dans une observation permanente de l’autre ; elles s’occupent avant tout d’elles-mêmes. Pour ne plus risquer de répéter des comportements dysfonctionnels. Pour établir une confiance en elles reposant sur une meilleure connaissance d’elles-mêmes, et sur une part de défiance, vis-à-vis d’elles-mêmes. On les dira alors égoïstes, narcissiques. Et sans doute le sont-elles un peu devenues, réveillant ou retrouvant ce narcissisme sain que nous sommes tous censés ressentir, cette estime de soi qui nous permet d’être au-delà d’exister.
[1] Le devoir conjugal consiste en l’obligation d’entretenir des relations sexuelles entre époux. Issu de la jurisprudence, il se rattache au devoir de fidélité et de communauté de vie, mentionnés par la loi. Le manquement au devoir conjugal, comme tout manquement aux devoirs du mariage, est susceptible de fonder un divorce pour faute (article 242 du Code civil : « Le divorce peut être demandé par l’un des époux lorsque des faits constitutifs d’une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage sont imputables à son conjoint et rendent intolérable le maintien de la vie commune »). Reste à prouver que le refus de l’époux d’entretenir des relations sexuellesrend intolérable le maintien de la vie commune. L’existence du devoir conjugal ne permet en aucun cas d’obtenir des relations sexuelles de son conjoint sans consentement libre et éclairé. Faire pression sur son époux, verbalement ou physiquement, ou lui imposer des pratiques non désirées, est constitutif d’harcèlement sexuel et/ou d’agressions sexuelles. De même, forcer son conjoint à avoir une relation sexuelle non consentie, y compris par surprise durant son sommeil par exemple, est constitutif d’un viol aggravé, puni de 20 ans d’emprisonnement.
[2] Paul-Claude Racamier, « Entre agonie psychique, déni psychotique et perversion narcissique », Revue française de psychanalyse, vol. 50, no 5, 1986. Voir également, du même auteur, Les perversions narcissiques, Payot, 2012.
[3] Juge des enfants à Bobigny, récemment nommé coprésident de la commission Inceste et violences sexuelles faites aux enfants.
[4] Edouard Durand, « Un mari violent est un père dangereux », Le Monde, 23 novembre 2019.
[6] Le gaslighting est une forme d’abus mental. Il repose sur le mensonge permanent avec pour objet de créer le doute, jusqu’à la folie, chez la victime et permet de réfuter les perceptions de sa victime, lui laissant le sentiment d’être constamment dans l’erreur, d’avoir des hallucinations, jusqu’à imaginer être folle ou en train de le devenir. Voir Anne-Laure Buffet, Les prisons familiales, Eyrolles.
[7] L’injonction paradoxale est un ordre et une obligation à agir reposant sur deux propositions antinomiques. L’exemple type est l’injonction : « Sois spontanée ». En s’obligeant à la spontanéité, la personne répond à un ordre, mais répondant à cet ordre, elle ne peut être spontanée puisqu’elle est contrainte.
[8] Le 22 juillet 2019, l’Assemblée nationale a adopté une proposition de loi qui double les peines en cas de harcèlement au sein du couple, les portant à dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende lorsque le harcèlement a conduit la victime à se suicider ou à tenter de se suicider. Jusqu’à présent, la loi sanctionnait les violences conjugales jusqu’à cinq ans d’emprisonnement.
[9] Ces états mentaux peuvent être des sentiments, des désirs, des croyances, des pensées.
Comment se penser soi-même sans avoir en tête une idée de ce que pourrait être un père, une mère ou si une de ces images est disqualifiée, mise entre parenthèses, ou détruites : c’est la notion de « parent », en tant que protecteur, qui disparaît, et la sensation de sécurité ; l’idée même d’un modèle à qui l’enfant voudrait ressembler s’effondre ; tout cela vient mettre en danger la construction de l’appareil psychique de l’enfant, invalide son identité, et pèse sur son futur.
Alain Rouby, psychologue clinicien
Instrumentaliser : se servir d’une personne comme d’un instrument pour parvenir à ses fins et mener à bien un projet.
La personne instrumentalisée devient un objet. Elle est réifiée. Sa perception, sa réflexion, son individualité son niées. Elles ne doivent pas s’exprimer car elles peuvent nuire à celui ou celle qui instrumentalise et contrecarrer ses projets ou les empêcher. Il y a donc une volonté concrète et mise en œuvre pour faire disparaître tout caractère propre chez celui ou celle qui devient un objet.
La réification est un concept désignant un processus cognitif et comportemental selon lequel un être humain (en l’espèce, lorsque nous parlons d’instrumentalisation) est perçu et traité comme une chose au point d’en venir à se considérer comme une « chose » lui-même.
Pourquoi instrumentaliser ?
Pour combler un manque, un vide ou une incapacité. Schématiquement, on dira que le parent toxique, qui va instrumentaliser son enfant, n’existe pas en tant que tel. Son développement affectif, sa maturation émotionnelle, s’est stoppée vers l’âge de 6 ou 7 ans. À cela il peut exister de nombreuses raisons.
Or à cet âge, le monde semble encore très manichéen. Les objets nous appartiennent, ou non. On peut leur donner un sens, les désirer, les animer, les abîmer sans culpabilité ou les abandonner. Le sentiment d’être puissant est important. La notion de « l’autre » commence à peine à se développer, les relations nourries d’altérité sont à leur commencement – l’autre est souvent, encore, un prolongement de soi. Les émotions sont en construction et l’apprentissage de la réalité débute.
Plus prosaïquement, on dira qu’il y a les bons et les méchants.
C’est globalement à ce stade que s’arrête le développement émotionnel du (futur) parent toxique. Et il va agir en fonction, en grandissant.
Je reçois = l’autre est gentil => je fais en sorte que l’autre continue de l’être Je ne reçois pas (ou plus) = l’autre est méchant => je fais disparaître l’autre et je me venge car il m’a fait mal
ASPECT PSYCHOLOGIQUE
L’instrumentalisation se met en place dès le début de la relation et parfois même avant.
Dans un couple, l’idée non explicite de cette instrumentalisation apparaît avant même que la personne toxique n’ait trouvé sa proie. La toxicité génère le besoin vital de l’autre qui va apporter à l’auteur des violences ce qu’il lui manque (empathie, sociabilité, générosité…).
La joie de leurs enfants, le lien avec l’autre parent leur est insupportable. La personne toxique va alors chercher à le nier et le détruire. Par ses messages, elle va mettre à mal ce que le parent bienveillant met en place. Par son comportement, elle va faire en sorte que le parent bienveillant et l’enfant n’aient plus de relations, plus de contacts.
La manipulation peut passer par la violence. Elle laisse des traces. L’enfant, qu’il soit maltraité physiquement ou psychologiquement, conserve cette blessure. Et même si c’est des années après, il est capable de la conscientiser. Il peut alors reprocher à l’autre parent de ne pas l’avoir protégé (encore faut-il que l’autre parent ait eu les moyens de le faire), mais il est également conscient de la violence subie et de ce qu’elle avait d’inique.
Ce que le toxique ne supporte pas est la perte de sa suprématie. Enfant immature, il veut à tout prix conserver cette place auprès de son conjoint ou de sa compagne. L’enfant devient alors un rival puisqu’il nécessite attention, soins, amour, temps… qui ne sont plus exclusivement réservés à son parent toxique.
La manipulation passe aussi par la douceur, la gentillesse, la présence… Bien sûr, tout est faux. Et une fois décortiqués les comportements du parent manipulateur, il est évident que celui-ci ne se sert que de promesses (qu’il ne tient pas), d’envies qu’il fait naître et utilise comme une carotte, et d’argent. Pour ne pas tenir ses promesses, il aura toujours une bonne raison. Le plus souvent, il commencera par culpabiliser l’autre parent aux yeux de son enfant. Celui-ci va se retrouver dans une attente qui ne peut être comblée et dans la colère et la tristesse, croyant fermement que la promesse ait empêchée par un comportement « méchant » du parent … bienveillant.
Il ne sait alors plus en qui il peut faire confiance. Il va même jusqu’à ressentir de l’abandon, puisque la promesse n’est pas tenue par la faute d’un de ses parents qui, forcément, ne doit pas l’aimer, puisqu’il empêche.
Quant à l’argent, arme toute puissante, cela ne signifie pas que le parent maltraitant est forcément riche. Mais il va acheter consciemment son enfant, quitte à lui offrir ce qui est interdit par l’autre parent.
Avant la séparation, une des conséquences – qui va perdurer longtemps même après la séparation, est la place que l’enfant va peu à peu prendre, c’est-à-dire à combler le manque créé par son parent défaillant. Il devient alors grand frère ou grande sœur trop parental avec la fratrie, confident du parent bienveillant, soutien…
Le paradoxe : entre le dit et l’agit.
De nombreux parents maltraitants adoptent avec leurs enfants un comportement paradoxal : ils vont répéter sans cesse qu’ils aiment leurs enfants, ils vont leur dire, ils vont avoir des gestes qui semblent être des marques d’affection ou d’amour. Dans le même temps, ils vont menacer, crier, punir, hurler, frapper, critiquer, juger…
L’enfant en quête de reconnaissance va imaginer que les marques d’amour sont bien réelles, et va pardonner au parent maltraitant. Il va lui trouver des raisons à ses comportements. Et souvent ces raisons seront même renforcées et développées par le parent bienveillant : « Tu sais comme est ton père, mais il t’aime… Tu connais ta mère, elle s’emporte mais elle veut ton bien… ». En effet ce dernier ne veut pas conforter son enfant dans sa souffrance et, croyant bien faire, va tenter d’atténuer la violence vécue et faire croire que ce n’est que maladresse ou énervement passager de la part du parent défaillant.
Et ce comportement peut durer longtemps, bien après la séparation. Le parent bienveillant, victime, a tellement pris l’habitude de protéger son conjoint, pour le bien de l’enfant, et pour ne pas affronter une colère, qu’il continue d’agir de la sorte.
Le chantage est une des armes favorites du parent toxique, la culpabilisation, les « après tout ce que j’ai fait pour toi » sont autant de façons d’enchaîner. Le parent manipulateur passe du rire aux larmes très facilement. Il les utilise pour sensibiliser, toucher, rallier à sa cause. L’enfant, ne peut s’empêcher d’être touché. Il croit devoir consoler son parent. Il fait des efforts pour ne pas déranger et pour satisfaire. Il cherche à correspondre à ce qu’il pense être une attente de son parent et culpabilise de ne pas être à la hauteur. Le parent peut aussi parler de son enfant comme étant la prunelle de ses yeux et le jour d’après prétendre que vous n’êtes plus son enfant parce que vous avez osé lui tenir tête ou fait quelque chose qui ne sert pas ses intérêts.
Tout est paradoxal et ambivalent. Tantôt il aime, tantôt il traite d’incapable, parfois de manière très subtile.
Il a aussi l’art de critiquer l’entourage, personne, ou presque, ne trouvant grâce à ses yeux. En fait, tous ceux qui pourraient réveiller et permettre de voir clair dans son jeu sont une menace pour lui et son objectif est donc d’isoler. Il ne complimente pas, ou en laissant toujours planer le doute sur la véracité du compliment. Il gémit pour contraindre, supplie pour obliger.
Il se positionne en victime, agit en bourreau, et passe pour un sauveur aux yeux des tiers. Il est à lui seul une triangulation psychique, entrainant son enfant dans cette triangulation. Il y a alors perte complète de repères, confusion, développement de mécanismes de défense, interdisant à l’enfant de se détacher et de développer une personnalité propre. Il va alors construire un faux self nécessaire pour être au plus près de ce que son parent attend de lui… sans jamais y arriver.
ASPECT JURIDIQUE
« Si tu veux être aimé de moi, tu dois détester ton autre parent »
Message implicite : tu ne peux aimer que moi.
Chantage : sinon, tu n’auras pas mon amour
Mensonge : je suis incapable de t’aimer mais je te le fais croire
Danger : perte de l’autre parent et de sa protection
Difficile de distinguer l’aspect juridique de l’aspect psychologique. C’est souvent lorsque le juridique devient concret que l’instrumentalisation psychologique de l’enfant semble tangible. Les procédures peuvent même renforcer la volonté d’instrumentaliser l’enfant qui est alors tant un enjeu qu’une arme.
Faire participer l’enfant au quotidien de la procédure de séparation ou de divorce en lui faisant tout lire, dénigrer son autre parent et sa famille, l’interroger avec insistance sur la vie de l’autre, ses biens, ses amis, son quotidien…
Tout cela est de la maltraitance. L’enfant aime ses deux parents et sent intuitivement que celui qui agit ainsi souffre (ou semble souffrir). Il le protège, l’écoute et le croit parfois. Parce qu’il est un enfant, il n’a pas la même capacité de retrait qu’un adulte, parce que ce sont ses parents, il n’a pas la possibilité de voir les choses avec objectivité.
Les enfants prennent le plus souvent le parti de celui qui, selon eux, souffre le plus ou est en position de faiblesse. Les adultes qui instrumentalisent ainsi leurs enfants se rendent coupable d’une maltraitance qui peut entrainer pour l’enfant des séquelles psychologiques parfois graves.
LES CONSÉQUENCES
a) Le déni parental
Pourquoi parler de déni parental, ou d’exclusion parentale ? À lire la presse, les syndromes se multiplient. Les informations, et contre-informations tout autant. Les causes, raisons, explications des maltraitances subies par des enfants sont multiples. Le besoin de comprendre fait stigmatiser – et qualifier – certains comportements. Les thèses fournies sont étudiées, reprises puis pour certaines contredites. Au risque de s’y perdre. Au risque d’oublier ce qui devrait rester le souci majeur : l’intérêt supérieur de l’enfant, pourtant si souvent évoqué, pour ne pas dire revendiqué, devant les JAF. « Madame X, monsieur Y, demande cela dans l’intérêt de l’enfant… Soucieux(se) de son bon développement, il(elle) regrette de devoir se présenter devant la cour pour obtenir un droit et la défense de son enfant.»
Il en est ainsi, entre autres, du syndrome d’aliénation parentale, qui devient un enjeu théorique : existe-t-il ou non ? Est-il né d’un cerveau qui voulait se disculper de ses propres pensées et agissements ? Est-il présent plutôt chez les pères, ou chez les mères ? Certains en font un cheval de bataille, d’autres le réfutent totalement.
Loin de ces clivages théoriques, qui semblent oublier l’enfant et sa souffrance, je parle de déni parental, ou d’exclusion parentale ; à savoir tout comportement de l’un des deux parents tendant à exclure partiellement ou totalement de la vie de l’enfant l’autre parent, en niant l’existence de l’autorité parentale conjointe tout autant que celle des devoirs issus du rôle de parent, et des droits des enfants à conserver, au-delà d’un conflit d’adultes, des liens avec chacun de ses deux parents.[1]
Le déni parental peut est observé sous trois angles.
D’une part, il est le déni de ses propres responsabilités en tant que parent lorsque l’on est un parent toxique, agissant en manipulateur – destructeur tout en faisant en sorte que l’entourage soit convaincu d’avoir affaire à un bon père ou une bonne mère. Or, la manipulation entraine maltraitance, rejet de l’enfant, dénigrement, empêchement d’une construction autonome, libre, et consciente… La manipulation peut prendre pour forme de « parentaliser » l’enfant, retirant à ses parents l’autorité naturelle et bienveillante que celui-ci doit avoir sur l’enfant, celle qui permet de se construire autour de valeurs et avec des limites normales de protection. Ainsi l’enfant qui devient le confident, l’alter ego de son parent, ainsi également de l’enfant dont la présence est réclamée comme nécessaire à un équilibre « Je suis si triste sans toi, j’ai besoin que tu sois là pour aller bien, tu manques à papa, à maman… », ainsi encore de celui qui est choisi comme allié contre l’autre parent « Tu préfères ton père ou ta mère ? Si ton père avait fait autrement, s’il était moins! méchant… Si ta mère était moins bête… Ce n’est pas ce que je voulais, ne m’en veux pas… Pardon de t’avoir donné un tel père, une telle mère »
C’est aussi le déni de l’autre parent, de son rôle, de ses facultés éducatives, du lien à maintenir avec le (les) enfant(s) qui constitue la potentialité d’un danger dans l’évolution de cette relation. L’interdiction de communiquer, l’empêchement à téléphoner, le refus d’informer sur un lieu de vacances, sur une inscription dans une école, sur une situation médicale sont des comportements niant l’existence de l’autre parent en tant que parent.De même de ces parents qui, une fois qu’ils ont refait leur vie, confie à leur nouveau conjoint(e) un rôle d’éducateur auprès de leurs enfants, les investissant totalement dans le quotidien des enfants, permettant à l’enfant de croire que l’autre parent n’a plus sa place, ou ne veut pas de cette place… Que, en définitive, l’autre parent le rejette. Ainsi de cet enfant qui dit à sa mère, décrivant son week-end chez son père « Avec les parents on est allé à la campagne. » ; ainsi encore de cet autre enfant qui confond les parents de sa belle-mère avec ses grands-parents, puisqu’on lui a appris que dorénavant, ce serait ses grands-parents. Le cadre familial, déjà disloqué, explose un peu plus ; l’image de la famille n’existe plus. Les rôles se mélangent. L’enfant ne sait plus quelle est sa place, et n’arrive pas à donner une place à chacun.
Enfin, et conséquence des deux premiers points, le déni parental peut venir de l’enfant manipulé qui rejette voire exclut de sa vie un de ses parents… en l’espèce le parent protecteur. L’enfant croyant le manipulateur agit sans conscience mais en repoussant l’aide et la protection offertes par le parent autrefois sous emprise. Chosifié par le parent manipulateur, il devient alors complice sans le vouloir de la destruction entreprise contre le parent protecteur. Il agit sans capacité de recul et de réflexion, soumis et contraint, sans distanciation possible.
Dans le cas du déni parental, l’enfant est instrumentalisé par l’un des deux parents qui mettra en action toute une série de comportements, d’agissements et de manipulations de pensée proches du lavage de cerveau afin de conduire l’enfant à ne plus voir l’autre parent, à ne plus vouloir le voir, à ne pas communiquer avec lui. Cela peut aller de la part de l’enfant jusqu’au rejet–manipulé–du parent choisi comme cible.
Bien plus terrifiante que la souffrance de l’autre parent, qui cherche tant à se protéger qu’à pouvoir protéger son enfant, est celle de l’enfant lui-même. Contraint de critiquer, de repousser voir de nier une part de lui-même, il est amené à désavouer cette part de lui. Car, quelqu’ils soient, il y a bien et toujours deux parents ; et l’enfant sait instinctivement qu’étant le fruit de ces deux parents, il y a forcément en lui une part de chacun d’eux.
Il faut également prendre en compte le comportement du parent victime, aveuglé par sa culpabilité. Ce parent a reçu de la personnalité toxique un enseignement : il porte une faute, il est coupable. Cette faute lui appartient, à lui et non à ses enfants. La victime est prise dans un paradoxe : elle «sait» qu’elle est fautive, tout en étant convaincue – à raison sans pouvoir argumenter ou se justifier –que c’est faux. Mais, même si elle rejette une partie du discours de la personnalité toxique, la victime pense que ce qu’elle a subit est dû à ce qu’elle-même est. Elle peut être alors dans la renonciation, le refus d’accepter qu’elle puisse être fragile sans être coupable.
Lors de la séparation, son raisonnement est encore faussé. Elle sait, ou tout du moins sent, que la personnalité toxique ne cessera pas ses agissements destructeurs avec elle, mais elle pense mettre les enfants à l’abri de situations conflictuelles. Elle se refuse à voir que la personnalité toxique peut poursuivre ses agissements au travers des enfants, les prenant à la fois comme réceptacle de sa toxicité et bras armés de sa destruction.
On entend alors des phrases comme : «C’est son enfant, il (elle) ne lui fera pas de mal… C’est un bon père (une bonne mère) tout de même, et il (elle) aime ses enfants», «C’est à moi qu’il (elle) en veut, mais je ne m’inquiète pas du tout pour les enfants».
b) Le conflit de loyauté
C’est un conflit intra-psychique né de l’impossibilité de choisir entre deux situations possibles, ce choix concernant le plus souvent les sentiments ou ce que nous croyons en être, envers des personnes qui nous sont chères.
Le conflit de loyauté pourrait se définir ainsi : Si je choisis X, cela signifie que je rejette Y. Et inversement, si je choisis Y, cela signifie que je rejette X. Mais comme cela est insupportable, je ne peux choisir. Sinon au prix d’une éventuelle culpabilité. !
L’enfant va alors entrer dans un schéma paradoxal. Il va vouloir se protéger et protéger dans le même temps ses deux parents. Ce qu’il va vivre chez l’un, il le taira chez l’autre, non pour faire des secrets, mais en pensant éviter à ses parents des souffrances supplémentaires. Il va apprendre à se taire. Ce n’est pas une volonté de dissimulation, c’est une nécessité de se créer une bulle qu’il pense infaillible, dans laquelle ses parents n’entrent pas et à l’intérieur de laquelle rien ne pourrait l’atteindre.
Dans le cadre des procédures de divorce particulièrement conflictuelles, où les parents divorcés ne parviennent plus à communiquer, les enfants peuvent devenir des victimes de ce conflit parental qui peut être qualifié de maltraitance psychologique. Les parents désormais aveuglés par leur propre conflit, par leur propre souffrance qu’ils ne parviennent plus à maîtriser, ne sont plus en capacité de prendre la mesure de l’impact psychologique de leurs comportements sur leurs enfants. Ils n’en n’ont souvent pas directement conscients.
Il a été démontré que ce «conflit de loyauté» dans lequel est durablement plongé l’enfant est très destructeur pour la construction de la personnalité future de l’enfant. Pour l’enfant, ce conflit intra-psychique naît de la profonde impossibilité de choisir entre le père et la mère. C’est un trouble majeur auquel se trouvent confrontés de nombreux enfants de parents divorcés et qui doivent constamment composer entre les désirs des parents souvent contradictoires, et entre les obligations et interdictions diverses de ces deux parents qui ne parviennent plus à s’entendre.
Ce conflit parental est une forme de violence psychologique, et devient destructeur par la répétitivité des messages contradictoires que peut recevoir l’enfant de la part de ces deux parents.
L’enfant placé au cœur de ce conflit est bien la victime directe d’un abus de pouvoir et de contrôle des parents et c’est effectivement le caractère répété et durable qui cause préjudice à l’enfant victime. Les enfants placés contre leur volonté au centre de ce conflit majeur, qui se perpétue et qui peut devenir de plus en plus prégnant, en ressentent alors une profonde détresse. Les enfants confrontés à ces dissensions sont bien souvent démunis et isolés. Ils ne parviennent pas à se protéger et manifestent alors leur désarroi par des actes de violences.
Ces contradictions dans ce qu’exprime l’enfant soulignent le profond conflit psychique qui peut l’agiter.
CONSÉQUENCES SUR LES ENFANTS
Attention : cette note est destinée à informer. Il y est signalé les conséquences possibles de ces souffrances pour les enfants, de la maltraitance qu’ils subissent. Ce n’est pas pour autant que ces conséquences se produisent systématiquement. Ce sont des conséquences possibles, à ne pas ignorer ni à négliger. Mais qu’il ne faut pas non plus les « guetter » comme devant forcément se produire : il n’existe pas de déterminisme.
Et dans le même ordre d’idées, certains comportements de l’adolescent peuvent être liés à d’autres causes que la maltraitance psychologique. Il est donc nécessaire de REGARDER son enfant en essayant d’éviter toute déduction ou tout transfert (mon fils ne travaille plus en classe parce qu’il cherche à tout prix à attirer le regard de son père… ma fille se maquille beaucoup trop et essaie d’obéir inconsciemment à l’image que lui renvoie son père par ses propos dénigrants … ma fille passe son temps à essayer d’aider les autres parce qu’elle veut réparer ce que sa mère lui fait…)
troubles scolaires, alimentaires, du comportement ; troubles du sommeil, encoprésie, énurésie
agitation, problème de concentration, anxiété
isolement, repli sur soi, agressivité tournée vers lui-même ou vers les autres, phobies, apathie, extrême docilité (il peut être jugé paradoxal d’indiquer dans le même point l’agressivité et la docilité ; il s’agit d’en tenir compte lorsqu’elles sont extrêmes. Un enfant bagarreur dans la cour de récré n’est pas forcément un enfant maltraité. Il faut observer d’autres signes. L’agressivité la plus dangereuse est celle que l’enfant va retourner contre lui, et même tournée vers les autres, elle peut en fait être inconsciemment contre lui, avec ce désir inexprimé d’être vu, entendu, ou en étant alarmiste… de vouloir supprimer son existence jugée coupable et injuste. Cette agressivité, encore une fois cumulée avec d’autres comportements, est à prendre très au sérieux puisqu’elle peut être le premier passage à l’acte avant la tentative de suicide)
peur induite par la manipulation. L’enfant est contraint de se soumettre à l’adulte ; il est victime, par introjection, du sentiment de culpabilité, de colère, d’angoisse, de cet adulte. L’enfant soumis à la peur se retrouve à la fois victime et coupable
comportements dangereux (mutilation, fugue, consommation d’alcool, de stupéfiants avec passages à l’acte)
mise à l’écart temporaire ou définitive du parent bienveillant ; agressivité retournée contre celui-ci
dépendance affective qui se développera à l’âge adulte : peur d’être seul(e), d’être abandonné(e), peur de ne pas « être à la hauteur » de l’amour reçu, dépendance extrême à l’autre, jalousie, relations affectives et amoureuses instables, comportement intrusif
troubles obsessionnels compulsifs
clivage (défense psychique impliquant un partage entre une partie de soi blessée, et une part intacte) conduisant au mutisme. Le clivage permet à la fois de contenir des émotions afin de ne pas être submergé, et d’aller jusqu’à oublier ces émotions.
mimétisme et reproduction du comportement toxique) ; ce mimétisme peut être du en partie à une altération de la volonté qui survient sur le coup du choc émotionnel. Ceci est comparable à un effet de suggestion ou d’hypnose – il est d’ailleurs à noter que lors des groupes, les parents parlent fréquemment de « lavage de cerveau ». Le comportement révèle une peur honteuse, faite de soumission à celui ou celle qui pourrait être appelé(e) « geôlier ».
rejet partiel ou total du parent protecteur, dénigrement, diffamation
tentative de suicide
[1] On peut prendre comme exemples de ces comportements : la non information de choix médicaux, ou de traitements médicaux ; la non information du choix d’un établissement scolaire ; le refus de laisser son enfant communiquer avec l’autre parent ; le refus de laisser l’autre parent parler à son enfant lorsqu’il n’est pas en sa présence, lorsque ce n’est pas son «tour» d’hébergement et de droit de visite ; le défaut d’information du lieu de résidence des enfants pendant les périodes de vacances ; le chantage et la pression exercés sur l’enfant pour s’attirer son «amour» tout en dénigrant l’autre parent ; la victimisation, en accusant l’autre parent d’être responsable de toutes les souffrances endurées tant par la famille dans son ensemble que par chacun de ses membres ; les mensonges tendant à discréditer l’autre parent aux yeux de l’enfant… Les exemples sont multiples. On peut considérer que toute parole, tout acte, tout geste ayant pour objectif de dénigrer l’autre parent, de le tenir à l’écart, de freiner ou stopper la communication et le partage d’informations légitimes, d’éloigner l’enfant d’un des deux parents, voir de rejeter ce parent, sont à rattacher au déni parental.
En janvier 2016, je publie aux éditions Le Passeur ce livre, Victimes de violences psychologiques, de la résistance à la reconstruction.
Un livre qui est « chaleureusement » accueilli par ses lectrices et lecteurs. Qui, je le crois, a aidé à mettre un terme à des situations de violences intrafamiliales et/ou conjugales complexes. Un livre qui, à la demande de l’éditeur, n’est plus édité depuis 2017. Comme s’il fallait taire ce pour quoi le livre a été demandé, les violences psychologiques. Devenu indisponible partout, il atteint d’ailleurs en occasion des prix parfaitement délirants sur les sites marchands (actuellement et sur l’un d’eux, il est à 134 € en occasion. N’importe quoi…).
Les éditions Eyrolles et mon éditrice, Elodie Dusseaux, que je remercie, m’ont proposé de rééditer ce livre en 2019, un an après avoir édité Les mères qui blessent. Il s’appelle désormais Les prisons familiales. Complété, remanié, il apporte un éclairage sur les violences intrafamiliales et conjugales, sur la maltraitance faite au conjoint – principalement les femmes, sur celles faites aux enfants, jusqu’à l’inceste. L’inceste et l’incestuel, car il ne faut jamais minimiser un climat, un contexte, un mode de fonctionnement, un système.
La violence familiale devient un système dont il faut comprendre les ressorts pour pouvoir s’en libérer. La puissance du bourreau ne peut exister qu’en fonction des « réponses » que sa ou ses victime.s lui adressent. Comprendre cette puissance créée de toute pièce et imposée pour posséder et détruire est une étape dans la libération.
Je ne parle pas spécifiquement dans ce livre du pervers narcissique, mais de « l’emprisonneur », puisque je parle de prisons. De prisons physiques, psychiques, sexuelles, émotionnelles. Parce qu’il semble presque impossible de comprendre les violences psychologiques, je m’y attarde afin de tenter d’apporter un éclairage informatif et préventif, si ce n’est curatif.
En 2020, je sors aux éditions Eyrolles Les séparations qui nous font grandir. Sortir de prison, oui. Se séparer de ce qui était attaché à la prison en croyances, en convictions, en émotions, en ressentis, en loyauté contrainte est essentiel. Pour pouvoir se détacher, « rompre » avec des liens trop contraignants, trop invalidants, trop lourds pour pouvoir vivre.